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à l’amour ineffable et immense d’une fiancée, et de là résulte, dit-il, la confiance la plus entière ; quiconque se sera bien pénétré de ce que Dieu le Fils est devenu simple mortel, ne perdra jamais la confiance qu’il doit mettre en Dieu ; Dieu ne saurait faire du mal aux hommes, il avait revêtu jadis leur forme (XV, 44). » Dieu, se souvenant avec miséricorde de son existence humaine, pardonne désormais aux pécheurs d’ici-bas, et cela va jusqu’à ce point, que même la voix de notre conscience personnelle, qui est si souvent égarée, ne mérite pas d’attention (I, 38).

Maintenant voici une contradiction dans l’intérieur de la foi le Dieu-Homme et le Dieu-Dieu y sont conservés tous deux. Le moindre raisonnement prouve que le Dieu-Dieu, cette terrible majesté qui dévore comme le feu, aurait dû irrévocablement disparaître après s’être transformé en Dieu-Homme « pour diviniser l’homme et humaniser Dieu », comme Luther dit. Le Dieu humanisé, il est vrai, fonctionne en médiateur auprès du Dieu inhumain qui dévore comme la flamme impitoyable et cruelle ; le Fils voudrait dominer le Père, mais ceci n’est ni très rassurant pour les croyants, ni très logique, pas même considéré du point de vue de la foi, Toutes les qualités de Dieu se communiquent d’ailleurs au Christ, comme homme, c’est la fameuse communicatio idiomatum, et les qualités de l’homme se communiquent au Christ comme dieu. Le résultat qui surgit du milieu de tout cela, est que le Christ seul est le vrai Dieu de la foi luthérienne, de la véritable foi chrétienne, parce que dans cette personne divine et humaine à la fois il y a un certain équilibre des deux extrêmes. Ainsi Luther l’appelle aussi le Dieu des hommes vivants et point des morts : « Si Abraham a son Dieu, il s’ensuit que ce Dieu et Abraham doivent vivre à la fois, Dieu n’est point le Dieu des morts (II, 494) ; » ce qui signifie évidemment point d’homme point de Dieu. Pour moi, je vois la différence du catholicisme et du protestantisme, seulement en ce que l’amour divin est mis hors de doute dans le protestantisme luthérien, tandis qu’on ne jouit point de la même certitude dans l’église catholique. De là cette tendance de réconcilier un Dieu peu bienveillant par des sacrifices de toute espèce.

Le papisme est au premier coup-d’œil infiniment plus humain, ou plutôt moins barbare et désolant ; il admet la liberté, la volonté pour le bien comme facultés des hommes, mais bientôt il les force