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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

bien, c’est comme si ce Dieu disait : Je suis ton Sauveur. Car être Dieu, signifie sauver l’homme de la mort, du péché, du démon, des maladies, etc. (II, 327) » — « Tout le monde sait que quand on prononce le mot Dieu, on désigne par là celui qui nous console, qui nous garde, qui nous sauve, qui nous conduit, qui nous dirige, qui peut nous faire du bien. C’est ainsi que déjà notre intelligence notre bon-sens, nous décrit Dieu. Et, dans le texte on lit le verset : Moi, je suis le Seigneur ton Dieu, qui t’ai mené de l’Égypte. Il a donc tiré Israël de la misère et des dangers (IV, 326). »

D’où nous inférons, que si ce Dieu n’est un Dieu réel ou vivant qu’en faisant le bien des hommes, ce Dieu est évidement un être philanthropique, un être humain par excellence, bref l’homme même. L’homme, c’est le critérium et la mesure de Dieu. L’Homme, c’est l’Être absolu, l’essence de Dieu. Un Dieu séparé de l’homme ne mérite pas d’être appelé Dieu ; ôtez à votre Dieu l’attribut de l’Humanité, vous lui arrachez aussi sa divinité ; détruisez l’homme, et vous rayez Dieu ; effacez le rapport de Dieu avec l’homme, et vous effacez l’essence Dieu même. Ainsi Dieu, c’est l’Homme, et l’Homme, c’est Dieu : rien de plus évident.

Remarquez ici l’inconséquence dont le protestantisme s’est rendu coupable. Il a maintenu, théoriquement du moins, le bien supranaturaliste ou surhumain caché derrière son Dieu humain ; et c’est par ce véritable crime de lèse-logique que le protestantisme compromit dès le commencement son existence historique. Il a été sapé et miné depuis bien longtemps par le rationalisme, et le rationalisme disparaît à son tour. Mais ce qu’il importe ici surtout de rappeler, c’est que le protestantisme est la contradiction entre la théorie et la pratique ; il a réhabilité la chair humaine, il a oublié d’en faire autant de la raison humaine. L’essence du christianisme, l’essence divine, dit-il, est en harmonie avec les désirs naturels de l’homme : « Dieu les a implantés aux créatures, et ne les méprise pas dans l’homme (Luther III, 290) : » mais elle est en opposition avec la raison, elle ne peut donc être un objet que pour la foi. L’essence de la foi ou de Dieu, je l’ai démontré, n’est rien autre chose que l’essence de l’homme mise en dehors de l’homme et objectivée.

Réduisez donc cette essence divine si surhumaine, si extramondaine, si antilogique, si contraire à la nature, si ennemie de l’intel-