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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

il faut toujours pousser à l’extrême : ou tout ou zéro. Mais ce qu’il y a de bizarre, c’est que les chrétiens out souvent avoué eux-mêmes soit directement soit indirectement, que leur mystère par excellence, le plus sacré de tous leurs mystères n’était au fond qu’une simulation, qu’une farce. Cette simulation se voit, entre autres, assez ouvertement déjà dans l’évangile saint Jean ; évangile anti-historique, théâtral et imaginaire d’un bout à l’autre (voyez M. Lutzelberger : La fausseté de la tradition de l’Église, sur l’apôtre Joannès et ses écrits ; voyez aussi M. Bruno Bauer : Critique de l’Histoire évangélique des Synoptiques et de Joannès, tome III). Il n’y a plus ici du paradoxe dogmatique, il est remplacé par ce qu’on appelle l’emphatique, le théâtral, le coup de théâtre ; ainsi le roi de l’univers, le créateur du monde, le maître de la vie et de la mort, ne verse des larmes au cercueil de Lazare, que pour faire ostentation de son sentiment humain, et non content de cela il s’adresse à lui-même, c’est-à-dire à Dieu : « Ô mon Père, je te rends grâce de m’avoir exaucé : je sais que tu m’écoutes toujours, mais c’est à cause de ce peuple-ci qui est autour de moi, et je dis cela afin qu’ils le croient. » Ce théâtralisme évangélique fut plus tard poussa par l’Église jusqu’à la simulation la plus inouïe : Ambroise dit par exemple (Sur l’Incarnat., c. 4, c. 5) : « Si credas susceptionem corporis, adjungas divinitatis compassionem, portionem utique perfidiae, non perfidiam declinasti. Credis enim quod tibi prodesse praesumis, non credis quod Deo dignum est… Idem enim patiebatur et non patiebatur (remarquez cete antilogique inouïe, qui devient même de l’hypocrisie systématique, et partant de l’immoralité : « Il a souffert et il n’a point souffert à la fois. » « Patiebatur secundum corporis susceptionem. ut suscepti corporis veritas crederetur, et non patiebatur secundum verbi impassibilem divinitatem… Erat igitur immortalis in morte, impassibilis in passione… Cur divinitati attribuis aerumnas corporis et infirmum doloris humani divinae connectis naturae ? » Écoutez Grégoire (in homil. quadam : Pierre Lombard, III ; Distinct. 13, c. 1) : « Juxta hominis naturam proficiebat sapientia, non quod ipse sapientior esset ex tempore… Sed eamdem qua plenus erat, sapientiam caeteris ex tempore paulatim demonstrabat… In aliis ergo, non in se proficiebat sapientia et gratia » — « Proficiebat ergo humanus sensus in eo secundum ostensionem et aliorum ho-