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suprême ; à nous l’injustice, le mensonge, le péché, le mal tout entier. La Bible l’enseigne suffisamment les hommes sont des menteurs, dit le Psaume 116, 11, et Osie 13 dit : Israël, le malheur et le mal sont à toi. On ne saurait donc parler de l’honneur de Dieu, sans parler en même temps du déshonneur des mortels ; on ne saurait glorifier Dieu comme le Juste, le Vrai et le Clément, sans nous désigner ouvertement comme des menteurs, des pécheurs et des misérables (VI, 60). » Choisissez, Luther le dit sans détour ; soyez ou diable envers l’homme : « Tous les hommes, à l’exception du Christ, sont les enfants du diable (XVI, 326) ; mais soyez en même temps ange envers Dieu : « Jésus-Christ et Adam, c’est-à-dire Dieu et homme, diffèrent entre eux comme ange et Dieu (IX, 461) : » ou soyez diable envers Dieu, mais ange envers l’homme. En effet, aussitôt que vous proclamez la bonté et la vertu de l’homme, la bonté, la sainteté de Dieu n’a plus de motif ; les qualités essentielles de Dieu, bonté, charité, liberté, sagesse et autres, celles précisément qui, pour ainsi dire, lui impriment le caractère de Dieu, seraient et resteraient autant de qualités humaines, et cela indépendamment de l’existence comme de la non-existence de Dieu. Cette indifférence envers l’existence et la non-existence de ce Dieu, ne cesse donc que dans le cas, où il y a entre Dieu et l’homme une différence ineffaçable, un contraste éternel.

Mais, diront les partisans du juste-milieu philosophique, nous n’effaçons point la distance qui nous sépare de Dieu, quand nous attribuons à l’homme les qualités divines ; nous ne les attribuons que dans un sens très restreint, tandis que Dieu les possède illimitées. À cette objection je réponds que, si une force est de nature d’être augmentée, ce qui ne peut pas se faire dans tous les cas, elle mérite d’être nommée une force seulement là où elle se trouve au plus haut degré ; on pourrait alors dire grammaticalement, que son superlatif est son vrai positif. La plus haute liberté est ainsi la seule, parmi toutes les libertés, qui mérite d’être appelée liberté. Une chose qui est encore susceptible d’une augmentation, balance, pour ainsi dire, entre l’existence et la non-existence ; d’un artiste, par exemple, qui doit être rangé parmi les médiocres, on peut dire qu’il est artiste, aussi bien qu’il ne l’est pas. Si par conséquent, vous appelez Dieu le plus grand Bien, la plus haute Liberté, veuillez en ce cas avouer que lui seul doit être appelé bon, lui seul libre.