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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

La foi, quand elle se produit par des miracles, ne dépend pas de ma conviction ni de mon jugement ; après avoir assisté à un miracle, j’y ajoute foi ; le miracle est donc pour moi, spectateur, la causa efficiens de ma foi. Pour le faiseur de miracles, la foi est la causa efficiens du miracle ; il ne le fait qu’après s’être pénétré de la conviction dans l’assistance divine (voyez, par exemple, Act. des Apôt. VI, 8 et saint Matth. XVII, 20), mais il ne s’en agit pas ici. Le miracle, il est vrai, suppose quelquefois dans les spectateurs une prédisposition morale, intellectuelle et imaginative qu’on appelle vulgairement crédulité ou naïveté ; elle fait un contraste très édifiant avec l’endurcissement des pharisiens. Le miracle veut témoigner en faveur du thaumaturge : la foi ne devient donc une véritable foi objective et solide que quand elle a été corroborée par l’aspect d’un événement tout matériel, d’un miracle. Mais, à tout prendre, cette diathèse constitutionnelle n’est guère nécessaire ; d’innombrables individus, incrédules au plus haut degré, n’ont été convertis que par un miracle opéré devant leurs yeux.

Et, remarquez bien, le miracle est irrésistible ; la nature et l’âme doivent plier sous la pression divine qui daigne les visiter. Le baptême, par exemple, tel qu’il arrive à Saulus, nommé plus tard saint Paul, est une véritable visitation du maître souverain qui force son faible ennemi à se convertir et à entrer dans son service ; la lumière du Dieu crucifié frappe Saulus comme une foudre. Les pharisiens restent aveuglés et endurcis, parce que le Seigneur leur a refusé la grâce qu’il accorde à Saulus ; le Messie doit être martyrisé, donc il faut des hommes qui exécutent ce martyre, donc il faut un Ischarioth : et, remarquez-le bien, Dieu a retiré entièrement sa grâce à ces instrumens vivans du martyre : « Il faut du scandale, mais (voici l’antithèse), mais malheur à ceux qui le font ! » dit l’Évangéliste. Le pêché est donc nécessaire, il est comme l’ombre à côté des lu-


    commencent en effet à exorciser, adjuro te per eum qui venturus est judicare vivos et mortuos, etc., le rossignol fait entendre les mots : « Oui, je suis un démon de l’enfer, » et s’envole en poussant un horrible éclat de rire. Sur quoi tous les spectateurs tombèrent malades, et ils moururent le lendemain. Cette historiette n’a pas besoin d’être interprétée, elle porte le cachet hideux d’une époque où le véritable chrétien s’obstina à maudire, comme tentation infernale, tout ce qu’il rencontra de réellement pur et beau dans la nature. »  (Le traducteur.)