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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

saint Augustin l’a enseigné : « Accedat verbum ad elementum, et fit sacramentum. » Et XVI, 105, Luther dit : » Baptisez au nom du Père, etc., car de l’eau sans ces mots-là n’est qu’une eau ordinaire et qui ne vaut rien… Ah ! qui oserait appeler de l’eau ordinaire le baptême du Père, du Fils et de l’Esprit-Saint ? Ne voyez-vous pas quels sublimes arômes, quelles délicieuses épices, pour ainsi dire, Dieu le Seigneur jette dans cette eau ? Quand vous mettez un morceau de sucre dans de l’eau, elle cesse d’être de l’eau, elle se change en un autre liquide bien préférable ; de même l’eau baptismale, qui tue la mort, qui chasse le péché, qui concilie avec Dieu, qui ouvre les portes de la vie éternelle, est produite par l’eau naturelle mêlée de la force divine. »

Ainsi, cette eau merveilleuse du baptême a sa source dans l’eau qui fut changée en vin à Cana. Le christianisme est surnaturel, il n’est qu’un grand miracle d’un bout à l’autre[1] et se propage par des miracles.

  1. Il est l’ennemi mortel de la nature universelle. « A bas la nature ! » dit-il brandissant la foudre de l’anathème supranaturaliste ; « vive Dieu ! » c’est-à-dire vive le contraire de la nature, le contraire de l’univers ! « Comment, vous prononcez les mots nature, esprit ? ne le faites pas, il ne faut jamais parler ainsi à un chrétien, et on a raison de brûler les athées ; tout discours sur la nature ou sur l’esprit est dangereux, » s’écrie le chancelier dans la deuxième partie du Faust de Goethe. M. Henri Heine dit très bien (Le Salon II, 18) : « Ce n’est que le christianisme qui puisse produire sur terre des contrastes si tranchans, des douleurs si variées, des beautés si singulières, et on serait quelquefois tenté de croire que tout cela n’a jamais existé en réalité, que tout cela n’est qu’un rêve colossal, qu’une immense hallucination de fièvre, un rêve fait par un dieu en démence. La nature même parut alors prendre un masque fantasque, et l’homme, enlacé de mille subtilités scolastiques et abstruses, se détourna d’elle avec dépit. Mais de temps à autre cette nature le réveilla par un ton qui était si effroyable et doux à la fois, si plein de grâce et de terreur, d’une magie si puissante, que l’homme y prêta l’oreille malgré lui ; il sourit, il frissonna, et il en mourut. Au mois de mai 1433, du temps du concile, beaucoup de clercs et d’ecclésiastiques, de docteurs et de moines se promenèrent dans un bois aux environs de Bâle, et ils discutèrent avec zèle sur des points théologiques ; tout à coup, dit le vieux chroniqueur, ils s’arrêtent au pied d’un tilleul en fleurs, sur lequel est assis un rossignol qui chante dans les mélodies les plus tendres et les plus harmonieuses. Alors tous ces maîtres de la sagesse se sentent pénétrés d’un sentiment comme ils n’en avaient jamais éprouvé, ils se regardent l’un l’autre tout étonnés à la fin un prélat leur fait remarquer que ce rossignol peut bien être un esprit de l’enfer, envoyé pour interrompre la pieuse discussion et pour leur instiller le poison des plaisirs mondains. Ils,