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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Cette personnalité divine est un antidote excellent contre le panthéisme. « Dieu est personnel, » dit la religion raisonnée, « il n’y a donc point identité entre lui et moi. » Le panthéisme s’exprime d’une façon aussi frappante que logique par la phrase suivante : « L’Homme est une émanation, une partie de l’essence divine » ; à quoi la théologie répond par celle-ci : « L’Homme est une image de Dieu, ou un être de famille divine, » puisque d’après la théologie nous ne sommes point les enfants de la nature, mais les créatures d’un Dieu extranaturel. Or, dans la famille il y a plusieurs degrés de parenté, mais le plus intime, le plus sacré, est le rapport du père et du fils ; l’homme est donc, d’après la religion, un fils dépendant de Dieu le Père ; tandis que d’après le panthéisme il est une partie intégrante du grand Tout, une partie qui possède une sorte d’indépendance, parce que le grand Tout ne saurait exister sans ses parties intégrantes. Et pourtant, dans le rapport du Père et du Fils, c’est l’amour qui les rend égaux tous deux, c’est le Saint-Esprit de la famille et du foyer qui élève le Fils et abaisse le Père au point de les confondre l’un dans l’autre. Ainsi, le panthéisme prononce d’une manière logique et impersonnelle ce que la religion dit dans le langage des affections et des passions ; le panthéisme ne s’adresse point à l’imagination, qui est le nerf central de toute la religion.

Voilà donc encore cette identité primitive et naïve de l’essence humaine et de l’essence divine : seulement, la réflexion théologique y jette un voile, en incorporant l’un dans l’homme et l’autre dans un Dieu qui semble être et qui est en effet indépendant de l’homme ; mais ce voile est bien transparent, et on voit à travers un père divin qui n’aime que son enfant humain, tellement qu’il a son existence et son essence dans cet enfant même.

Ne dites pas que le Christ est le vrai Fils, et l’homme le fils adoptif de Dieu. C’est là encore une subtilité théologique, cela veut dire mensongère. Dieu, en effet, n’adopte pas des animaux, mais des hommes, évidemment parce que l’essence humaine est plus rapprochée de l’essence divine que l’essence animale. Cette adoption a son motif dans la nature divine de l’homme. On peut dire que l’homme adopté par la grâce divine n’est rien autre chose que l’homme qui a conscience de sa nature et dignité divines. En outre, le Fils inné de Dieu, je l’ai déjà démontré, n’est rien autre chose que la notion