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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

qu’il a créé. Voilà la source du naturalisme, du matérialisme (pris en sens opposé du spiritualisme fantastique et chimérique de la religion), enfin de l’athéisme.

La création comme œuvre de la toute-puissance n’est une vérité religieuse, que là où tous les objets et tous les événements du monde sont dérivés de Dieu ; cette création devient un mythe aussitôt que la physique a la permission de s’y mêler. Une conscience vraiment religieuse, remplie d’une naïve et fervente religiosité, ne se scandalise donc point à propos de cette création fantastique ex nihilo, elle n’y voit rien d’inconcevable. Autrement la théologie, c’est-à-dire la religiosité réfléchie et raisonnante, qui a l’habitude de regarder d’un œil le monde terrestre et de l’autre le monde surterrestre elle se croit obligée de se justifier devant l’intelligence, et elle le fait comme elle le peut, par des sophismes. — Remarquez, toutefois, que cette incompréhensibilité de Dieu est en même temps le résultat de la tendance de rechercher des distinctions entre Dieu et l’Homme ; l’identité essentielle de ces deux êtres devient choquante pour la théologie.

Quelle est cette différence entre Dieu et l’Homme ? C’est le Néant.

Dieu crée, Dieu fait quelque chose en dehors de lui : il ressemble par là à l’Homme. Faire, voilà une notion profondément humaine ; faire, c’est un acte que je peux interrompre, que je peux même ne pas commencer, un acte extérieur et prémédité ; en faisant, l’homme n’est pas tellement occupé qu’il puisse dire je suis affecté, je suis en passion et en passivité ; l’homme qui fait, agit d’une manière qui le laisse indifférent, bien entendu jusqu’à un certain point seulement. Il n’en est pas ainsi quand l’homme produit, crée : c’est un acte identique avec l’essence individuelle de l’homme, c’est une activité nécessaire, un besoin intrinsèque, un besoin qui le saisit à la racine de son individualité même, une action qui l’affecte pathologiquement même ; voilà la passion qui est à la fois de l’activité et de la passivité. Ainsi, des ouvrages intellectuels ne sont pas faits, ils sont produits ou créés, ou plutôt ils naissent dans notre intérieur ; nous y ajoutons quelques changements, il est vrai, mais cela ne touche plus que le dehors. Dans cette activité créatrice de Dieu l’homme adore la personnification de sa propre spontanéité humaine, ou plutôt de son caprice. L’homme se construit,