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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

raison quand il dit : donner rend plus heureux que prendre. Qu’est-ce donc Dieu considéré au point de vue que nous venons de développer ? Dieu est ici la personnification et l’adoration de l’Activité productive, abstraction faite de toute circonstance et de toute modification ; on élimine de cette activité productive toute idée de quantité, de qualité, de manière ou méthode, de sorte qu’il n’y reste que la simple notion produire, créer. Dieu est donc ici l’activité productive universalisée ou considérée en général ; c’est-à-dire, rendue illimitée, et par conséquent confuse et vague au plus haut degré. Ne vous étonnez donc pas, si ce Dieu crée d’une manière inconcevable ; vous venez en effet d’effacer toutes les déterminations modifiantes dans cette activité déifiée, en la proclamant activité par excellence ; ne demandez donc plus comment elle agit ? Il n’y a plus de comment dans une idée abstraite, sans modes, immuable, une et indivisible, monotone, unicolore ; comment serait modification. Voilà votre Dieu créateur qui, par l’irrésistible force de la logique, est devenu activité incompréhensible. Une activité particulière produit ses effets d’une manière particulière à elle, il y est donc, non-seulement permis, mais même nécessaire de demander : « Comment a-t-elle produit ses effets ? » tandis que la question : « Comment Dieu a-t-il créé l’univers ? » doit rester sans réponse.

J’insiste principalement sur cette série de déductions, et je ne crains pas d’être diffus quand je vais recommencer à la parcourir encore une fois.

L’activité divine qui crée l’univers, je l’ai démontré, est une activité vague et universelle, elle se trouve directement en opposition avec toute autre activité spéciale qui s’occupe d’un objet particulier ou d’une matière déterminée. Cette activité de Dieu exclut donc d’elle précisément ce qui caractérise notre activité humaine et réelle. Or, quand vous faites la question : « Comment Dieu a-t-il créé ? » alors vous y faites entrer clandestinement, illogiquement une notion exclue d’avance, celle de la particularité, et cette notion va se placer entre le sujet (l’activité produisante) et l’objet (le produit). Cette activité créatrice se rapporte à tout et point à quelque chose : elle se rapporte à un collectif (l’univers, le monde) et c’est là un collectif pris pêle-mêle, une idée plus ou moins chaotique, engendrée et projetée par l’imagination. La raison, l’intelligence, n’y a rien à faire, elle est trop antipathique à l’imagination. L’intel-