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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

à Dieu, il est tout cela sans bornes. Voulez-vous de la beauté, Dieu est la beauté des beautés. Voulez-vous de la puissance, Dieu est la puissance des puissances. Voulez-vous de la richesse, Dieu est la richesse des richesses. Tous vos désirs sont dans lui, lui seul les accomplira, il est le Bien simple et suprême à la fois (Tauler, I, 312). » Or, un homme, un peuple, qui porte déjà ainsi dans son sein la réalisation théorique de son bonheur suprême, n’éprouve point les douleurs et les défauts d’où naît nécessairement la civilisation ; il n’a plus besoin de penser et de travailler à l’embellissement de son existence terrestre, puisqu’il préfère l’existence céleste. Peu à peu, cependant, la réflexion transformera la différence primitivement quantitative entre l’être humain et l’être divin en une différence qualitative ; c’est alors que cette exclamation naïve et pardonnable « Dieu est incompréhensible » devient réfléchie ; alors on dit : « Nous comprenons que Dieu existe, nous ne comprendrons jamais comment il existe. » Ainsi, Dieu est créateur, il a créé le monde de rien, c’est-à-dire, d’une matière non existante, voilà une vérité indubitable ; seulement, nous ne pouvons comprendre comment il l’a fait, notre intelligence est trop faible pour y atteindre. Cela signifie que la notion générale ou du genre est claire et précise, mais que la notion spéciale ou de l’espèce ne l’est point.

La notion qui exprime créer, travailler, agir, est sans doute une notion sublime, l’être humain ne saurait se trouver heureux qu’en manifestant son activité vitale ; la passivité est un état de compression qui n’est pas agréable, ni beau en lui-même. La vraie activité est le sentiment positif du moi ; j’entends par positif ici ce qui est accompagné de joie, ce qui pose l’homme, ce qui l’affirme, ce qui le confirme vis-à-vis de la négation, vis-à-vis de la douleur et de la destruction de son organisme. Voilà Dieu devenu l’idée de la joie pure et illimitée, de l’activité productive et sans obstacles. La plus belle, la plus puissante activité dont l’homme soit capable, est celle qui est intérieurement d’accord avec notre essence ; nous sommes alors dans un parfait équilibre, nous agissons dans la plénitude de notre liberté, nous ne sommes point poussés ou entraînés, nous nous élançons nous-mêmes. Lire, est sublime, et pourtant ce n’est qu’une activité passive, nous y absorbons un objet qui nous a été fourni du dehors ; mais produire un livre digne d’être lu, voilà une activité active, et sans doute plus sublime encore. L’Évangile a