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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

dans le pain sacré le corps du Seigneur, mais si et comment nous trouverons du pain pour nos corps humains ; nous ne disons plus : Donnez à Dieu ce qui revient à Dieu et à l’empereur ce qui revient à l’empereur, mais nous voulons donner à l’homme ce qui est dû à l’homme ; soyez païen, chrétien, théiste, athéiste, n’importe —  mais soyez, devenez des hommes, des hommes libres et égaux et fraternels, des hommes pleins de santé intellectuelle et physique, des hommes pleins d’énergie vitale et morale. » A ceux qui me parleront de cette sorte, je réponds ce qui suit :

Je suis d’accord avec vous, et quand on ne dit rien autre chose de moi que voilà un athée, on dit très peu, on ferait même mieux de se taire tout à fait. Je suis profondément convaincu avec vous, que le grand duel du théisme et de l’athéisme, la question de l’existence et de la non-existence de Dieu, appartient au dix-septième et au dix-huitième siècle ; le dix-neuvième ne l’aura plus à résoudre. Quand je nie Dieu, cela veut dire, philosophiquement parlant, que je nie la négation de l’homme, or, nier une négation est affirmer. Ma tâche est donc d’affirmer l’homme ou l’humanité, qui avait été, pendant près de deux mille ans, nié et renié par des sophismes religieux et scolastiques sans nombre et sans nom. Je m’empare de la position illusoire, fantastique, céleste qu’on a donnée à l’homme chrétien ; cette position théoriquement sublime, quand elle s’exprime dans la vie ordinaire, devient brutalement ce qu’on appelle en langue vulgaire « la misère matérielle, la dégradation politique, l’abjection intellectuelle et morale. » Voilà la farouche et perfide destruction ou négation de l’être humain je nie cette négation, je détruis cette destruction : je veux la réorganisation politique et sociale de l’essence humaine. Je veux que l’homme s’affirme, en occupant désormais une autre position, la seule qui lui conviendra.

« Mais, disent quelques-uns, il ne faut plus tant s’occuper du cœur et du cerveau : le grand mal moral, intellectuel et physique a son siège dans l’estomac de l’humanité, et avec toute la clarté des idées, avec toute l’énergie de l’âme on ne saurait rien faire tant que l’estomac restera vide et malade ; c’est lui qui détruit aujourd’hui la racine de l’existence humaine même. Une femme a dit devant les assises : Messieurs, j’ai senti mes mauvaises pensées monter de l’estomac au cerveau ; cette femme résume en elle la société hu-