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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

sont un monde faux et interverti ; la religion, leur produit, est donc la conscience de ce monde interverti, et partant une connaissance erronée, intervertie et perverse. La religion, c’est la théorie universelle de ce monde, c’est pour ainsi dire son compendium encyclopédique, c’est sa logique en forme populaire, c’est son point d’honneur spiritualiste, c’est son transport enthousiaste, c’est son extase fantastique, c’est sa sanction morale, c’est son complément solennel, c’est enfin sa consolation et sa justification universelles. La religion, c’est la réalisation fantastique de l’être humain ; fantastique parce que l’être humain ne possède encore aucune réalité vraie et convenable. Faire jouer la mine et ouvrir la brèche contre la religion, est par conséquent le combat indirect contre le monde dont l’arôme spirituel s’appelle précisément religion.

« La misère religieuse, la misère telle qu’elle forme un objet des lamentations de la religion, est à la fois une expression de la misère réelle et une protestation contre celle-ci.

« La religion, c’est le soupir que pousse la créature en angoisse, c’est l’âme affective et affectée qui appartient à un monde sans cœur, c’est enfin l’esprit d’un état de choses déraisonnables ; elle est l’opium du peuple.

« La religion c’est l’illusion que le peuple se fait de son bonheur : faire disparaître cette illusion, désillusionner le peuple, signifie donc demander un bonheur réel. Quand on abandonne les illusions qu’on avait sur sa situation, on fait par-là abandonner une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion contient ainsi en germe déjà la critique de cette vallée de larmes, dont l’auréole est précisément la religion.

« La critique, en effet, a arraché et éparpillé une à une toutes ces jolies fleurs imaginaires, dont l’homme religieux avait paré ses chaînes mais gardons-nous d’en conclure que l’homme devra encore porter le poids de ces chaînes désormais si désolantes et si dépoétisées : non, au contraire, il s’ensuit qu’il va jeter loin de lui ces chaînes et cueillir la fleur vivante.

« La critique de la religion a désenchanté l’homme, il va penser, il va agir, former sa réalité comme fait un homme désenchanté et arrivé à l’entendement dont il était séparé par l’imagination : il tournera désormais autour de lui-même, c’est-à-dire autour de son véritable soleil. La religion n’est qu’un soleil imaginaire tournant