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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

industrielle, plus sa raison devient rebelle contre la foi révélée : alors le croyant ne trouve aucun autre moyen pour couper court à ce combat intérieur, que de nier effrontément le juste, et d’avancer capricieusement le faux. C’est là le moment où, voulant sauver l’Esprit-Saint de son Dieu, l’homme religieux commet le plus grave de tous les crimes, le péché contre le saint esprit de la Vérité.

Jetons ici un regard sur la vertu philosophique, si supérieure à la religieuse :

Quand on rit de l’Impératif catégorique de Kant, on lui rend, sans le vouloir, le plus grand honneur. La sévère parole de Kant, c’est un manifeste dans lequel la Morale annonce qu’elle est libre et indépendante de toute espèce de révélation, de toute sorte de Dieu là-haut ou là-bas ; c’est comme la foudre tombée du bleu du ciel au milieu de toutes ces théories d’un Bonheur éternel, du Péché originel, de l’Enfer, etc. L’Impératif catégorique, c’est la grammaire de la Morale, son commencement sec, rigide, mais indispensable. De là l’aversion des hommes religieux contre lui. Plus sublimes encore que les idées de Kant sont celles de Fichte, et vous avez beau fouiller le christianisme tout entier d’un bout à l’autre, vous n’y trouverez rien, absolument rien qui puisse égaler leur immense pureté, leur incommensurable grandeur, car le christianisme s’est cru obligé d’opérer sur une base qui n’est qu’un mélange d’idées morales et d’intérêts empiriques : il a fait comme toute autre religion. Ce spiritualisme de la philosophie idéale est souvent surhumain, antihumain, mais il l’est dans un bien autre sens que la religion ; Fichte est un héros presque incomparable qui sacrifie le monde entier avec toute sa beauté et toute sa splendeur à l’Idée morale. De là la sublime et effrayante monotonie de son système ; mais de là aussi le caractère sans peur et sans reproche de ce noble chevalier de l’idéologie. La religion est incapable de produire un caractère moral de cette trempe et de cette pureté ; elle n’admet jamais l’idée morale comme puissance indépendante avec laquelle on doive se mettre en contact direct ; elle ne s’adresse à celle-ci que par l’intermédiaire d’un Dieu personnel, et on ne sait que trop, maintenant, ce que c’est que cette Personnalité divine, si remplie d’antipathies et de sympathies, d’affections et de passions ; ce maître et père suprême, qui récompense éternellement ceux qui lui ont immolé leur courte existence terrestre. Ils ont beau dire : « Nous