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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

jamais à regarder à travers la surface trompeuse jusqu’au noyau de l’objet sacré ? Jamais ; car la théologie cesserait d’exister si elle cessait d’être superficielle.

La croyance à la révélation n’est respectable que quand elle est enfantine, car l’enfant se laisse dominer et déterminer par les choses et les personnes, et la révélation a le but d’opérer pour l’homme par le secours de Dieu, ce que l’homme ne pourrait faire tout seul. L’on a aussi dit que la révélation était un élément nécessaire dans l’éducation du genre humain ; seulement, il ne faut pas oublier que l’homme au commencement de son développement aime à se représenter, en dehors de lui, dans des fables, des apologues ou des contes allégoriques, tout ce qu’il sent dans l’intérieur de son âme affective. Le poète des fables a pour but de moraliser et d’éclairer ses concitoyens, et il choisit cette forme parce qu’elle est éminemment convenable pour l’enfance, soit d’une nation, soit d’un individu ; mais en même temps il embrasse cette méthode d’instruction parce qu’il incline pour elle personnellement. Il en est de même quant à la révélation ; à sa tête il y a un homme individuel, le révélateur national, qui poursuit une tendance patriotique, mais en même temps cet homme vit dans les idées transcendantes par lesquelles il réalise sa tendance. Ainsi, l’homme a objectivé, sans le savoir, son essence intérieure à l’aide de son imagination. Cette essence générale portée hors de lui, devient irrésistible, car elle se combine avec l’imagination, et se présente comme la loi suprême de ses pensées et de ses actions : c’est désormais Dieu. Et jusque-là cette croyance à la révélation ne produit que des effets louables.

Mais, remarquez-le bien, la révélation fait naître des actes moraux sans qu’ils surgissent d’une source morale. C’est comme la nature qui produit, sans en avoir conscience, des œuvres qui ont parfaitement l’air d’être des manifestations d’une haute intelligence. La révélation est incapable de produire des sentiments vertueux : tout au plus elle produit des actions morales ; elle fait observer les commandements de la morale, mais puisqu’ils sont imposés par un législateur divin et extérieur, ils sont au fond étrangers à l’âme individuelle et au sentiment intérieur, qui finira par les regarder comme les simples ordonnances plus ou moins despotiques et arbitraires de la police. L’homme fait une chose parce que son Dieu la lui a ordonnée, et il s’habitue à ne jamais se convaincre lui-même de