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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

sans valeur aux yeux de la religion, qui préfère ici la preuve objective. La révélation, c’est la parole que Dieu fait entendre à l’oreille humaine ; c’est le bon message, la bonne nouvelle ; Dieu a parlé, donc Dieu existe. Voilà au moins une conclusion logique. Par la croyance à la révélation, notre conviction subjective de l’existence de Dieu devient un fait indubitable et historique. Un Dieu qui ne daigne pas se révéler directement, un Dieu qui n’existe pour moi que par moi, est un Dieu abstrait, subjectif, imaginaire, qui peut exister et ne pas exister sans que je le sache au juste. Ainsi, la croyance à la révélation divine est un acte de l’âme affective et religieuse, par lequel elle croit ce qu’elle désire et ce qu’elle imagine. La religion est un rêve, je l’ai déjà expliqué à plusieurs reprises ; un rêve dans lequel nos propres idées et nos affections qui naissent sous la voûte de notre crâne, nous paraissent exister en dehors de nous comme des êtres indépendants ; l’âme religieuse ne sait ni ne peut distinguer entre objectif et subjectif, elle ne connaît pas le doute, elle n’a des sens physiques que pour voir ses idées transformées en êtres physiques, mais nullement pour apercevoir les autres choses, le monde des objets. Pour l’âme religieuse, une chose théorique est un fait matériel, et remarquez qu’un fait matériel a cela de particulier qu’on ne peut pas le nier sans commettre un péché, une action immorale.

Nous disons donc qu’un fait accompli est ce qui est devenu objet de conscience, d’objet d’observation et de raison qu’il était auparavant ; une chose qu’il n’est plus permis de critiquer, qu’on est obligé de croire malgré soi-même (nolens volens), une chose enfin qui est irréfutable et brutale vis-à-vis de la raison théorique. Le christianisme, proclamant ses dogmes comme autant d’événements et d’objets physiques et irréfragables, frappa rudement la raison par ce formidable coup de massue appelé fait matériel ; il réussit à l’abasourdir et à l’ébranler. L’intelligence, devenue captive de cette foi matérielle et palpable, ne pouvait plus nier un article religieux quelconque, sans se rendre en même temps coupable d’un mensonge et d’une dénégation matérielle : l’hérésie devenait ainsi un crime, c’est-à-dire elle était désormais un objet du code Pénal. Et cela doit être d’après la logique : un fait accompli, un fait brutal pour ainsi dire, en théorie, se traduit nécessairement dans la pratique en puissance brutale, en pouvoir barbare ; sous ce rapport, il faut ne pas l’ou-