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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Voilà donc Dieu devenu le sentiment le plus élevé, le plus puissant, le plus pur à la fois, que l’homme puisse sentir.

Dieu est l’être suprême ; par conséquent le sentiment que nous avons de ce Dieu, le sentiment qu’il remplit, est assurément le sentiment suprême. Or, le sentiment suprême doit être en même temps le plus haut sentiment que nous ayons de notre moi. En nous élançant aux plus sublimes régions de notre sphère sentimentale, nous sentons notre Dieu ; mais cela veut dire que Dieu est l’être suprême de notre sentiment, l’essence suprême de notre faculté sentimentale. Ainsi l’énergie de ton sentiment individuel est identique avec celle de ton Dieu. Le sentiment du moi est inséparable du sentiment en général ; s’il en était autrement, le sentiment ne serait pas le mien, ne m’appartiendrait pas ; en sentant le sublime, je me sens élevé moi-même ; en sentant le mesquin, l’immoral ou le laid, je me sens abaissé, comprimé, rapetissé moi-même.

Or, Dieu est l’être le plus libre, c’est-à-dire le seul qui soit libre ; il est donc le sentiment de la liberté la plus élevée dont l’homme soit capable. Comment pourrais-tu sentir l’être suprême sous la forme du sentiment de la liberté, ou comment pourrais-tu sentir la liberté sous la forme de l’Être suprême, si tu ne te sentais pas libre toi-même ? et quand est-ce que tu te sens libre ? Évidemment quand tu sens Dieu ; ainsi sentir son Dieu signifie se sentir libre. Et que veut dire cette phrase : Se sentir libre ? Évidemment se sentir affranchi de tout ce qui gêne, de toute douleur, de toute barrière dans l’espace et dans le temps ; tu t’élèves donc toi-même au-dessus de toute barrière que tu rencontres, ou plutôt que tu crois rencontrer. Dieu, par conséquent, comme Dieu-Sentiment ou Sentiment-Dieu, sera aussi varié et variable que l’idée qu’un individu ou une nation s’est faite de la liberté[1].

Toute la différence du Dieu des philosophes, des païens, des panthéistes et du Dieu personnel des chrétiens, se réduit simplement à la différence du cœur ou de l’âme affective d’un côté, et de la raison ou de l’intelligence de l’autre.

Qu’est-ce que la Raison ? C’est le sentiment du genre.

  1. M. Feuerbach discute ici la théologie de Schleiermacher.  (Le traducteur.)