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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

J’insiste encore une fois, et sans craindre de me répéter inutilement, sur ma thèse, que le Sentiment a nécessairement pour objet le Sentiment. La psychologie raisonnée, combinée avec la logique, nous démontre, en effet, que le sentiment est de la sympathie qui naît de l’amour fraternel du prochain ; et tandis que l’homme possède pour lui seul ses sensations, il ne peut avoir des sentiments que dans ses rapports sociaux. La sensation ne devient sentiment que par le contact avec d’autres hommes ; alors seulement nous voyons le pathos, la pathie, devenir sympathie. En d’autres termes, le sentiment, c’est la sensation esthétique et humanitaire ; l’objet de ce sentiment ne peut être qu’un objet humain où humanitaire. Dans le sentiment, l’homme est envers autrui dans une relation comme si cet autre était lui-même, et il perçoit comme les siennes propres toutes les joies et toutes les douleurs de cet autre homme. Ce n’est donc que par la communication que l’homme individuel élève la sensation égoïste jusqu’au sentiment. Le geste même, la main, le regard, le sourire, le baiser, le ton inarticulé, la parole, le chant, ne peuvent communiquer rien autre chose que les sensations du moi ; mais aussitôt qu’elles sont communiquées elles deviennent des sentiments. De la manière dont nous prononçons un mot dépend son impression : cela signifie qu’il devient un objet du sentiment, après avoir été auparavant un simple objet de sensation. Je dis donc que, sentir les sensations signifie avoir du sentiment.

Le règne animal se distingue des autres êtres précisément par la sensation sexuelle. Or, l’animal individuel s’élève au sentiment par sa sensation sexuelle plus ou moins momentanée ; l’animal individuel cesse alors de tourner, pour ainsi dire, autour de lui-même dans son isolement solitaire, il sort brusquement du cercle égoïste de ses sensations individuelles, il ne se met non plus en contact avec un objet inanimé quelconque (sa pâture, par exemple), mais il se rapproche d’un autre être individuel et animé comme lui, ayant les mêmes sensations comme lui et, remarquez bien ceci, d’un autre être qui est identique avec lui d’après l’espèce. Inutile de dévelop-


    derne, de lui citer un philosophe, un penseur quelconque, qui ait attribué à tout objet, sans exception, ce que la philosophie appelle réalité et substantialité.  (Le traducteur.)