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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’existence de ce Dieu n’a pas plus d’influence sur les sentiments intérieurs et moraux, que la non-croyance. On se trouve enthousiasmé et fortifié, il est vrai, par la pensée que Dieu existe, mais veuillez remarquer que dans cette phrase le mot existence signifie la réalité intérieure ou la vérité, de sorte qu’il en résulte un mouvement d’élévation sublime et vraiment religieuse. Mais aussitôt que le mot existence a la signification d’une vérité prosaïque et empirique, cet enthousiasme s’en va.

Ainsi, la religion devient une affaire indifférente pour le sentiment intérieur, quand elle se base sur l’existence de Dieu comme fait empirique. Dans le culte, la cérémonie du sacrement, dépourvue d’esprit, devient enfin l’objet sacré même ; d’une manière analogue la croyance à l’existence de Dieu devient l’objet principal de la religion, et on y omet entièrement la qualité intérieure ou le contenu spirituel croyez en Dieu ; cela suffit, cela vous sauvera. Ce Dieu peut bien être un monstre, un Néron, un Caligula, une image de ta vanité et de ta vengeance, n’importe : croyez toujours, ne soyez pas athée, cela doit suffire. L’histoire de la religion est là pour prouver la justesse de ce que je viens de dire : si la croyance à l’existence de Dieu, abstraction faite de la qualité de ce Dieu, ne s’était pas affermie dans les âmes sous le nom d’une vérité religieuse, on n’aurait jamais inventé tant d’idées affreuses qui exprimaient, disait-on, l’essence de Dieu.

De tout temps le pauvre athéisme a été décrié comme l’abolition de tout principe moral, comme la dissolution effrénée de tout lien vertueux ; on lui fait ce reproche encore aujourd’hui, en disant que si vous niez l’existence de votre Dieu, vous ne pouvez plus distinguer entre le bien et le mal, entre la vertu et le crime. Cela est très édifiant, mais peu vertueux, peu raisonnable, puisque quand on parle ainsi, on déplace la valeur réelle et intrinsèque de la vertu ; on la met en dehors, au lieu de la laisser subsister dans elle. Ce raisonnement erroné combine en effet jusqu’à un certain point l’existence de Dieu avec la réalité de la vertu, mais sans pour cela respecter la vertu[1].

  1. Il existe en allemand deux poésies modernes qui expriment d'une manière aussi précise que profonde, le combat entre l’athéisme éclairé et vertueux dont parle la nouvelle philosophie allemande, d’un côté, et la foi opiniâtrément religieuse de l'autre. Une de ces poésies s’adresse à un homme qui jadis, de