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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

que, qui fait de l’être humain un être transcendant, commence, s’exprime dans le dogme de l’existence de ce Dieu, et on en fait même un objet à démontrer.

Toute prétendue démonstration de l’existence de Dieu est par sa forme en contradiction avec la religion : la religion pose immédiatement l’essence intérieure de l’homme comme un autre être surhumain, et la démonstration veut ici démontrer que le droit est du côté de la religion. L’être le plus parfait et le nec plus ultrà pour la pensée humaine : voilà la prémisse de la preuve ontologique, qui est la preuve la plus intéressante de toutes, puisqu’elle en appelle au for intérieur de l’homme. Eh bien ! précisément cette démonstration ontologique prononce la nature secrète de la religion ; id quo nihil majus cogitari potest. Cette limite sublime de sa raison, au-dessus de laquelle on ne saurait plus méditer, c'est son Dieu ; or, cette sublimité infranchissable ne serait pas l’être suprême s’il n’existait pas réellement, et nous pourrions nous imaginer je ne sais quel être suprême plus sublime encore, qui lui serait supérieur par l’existence. Mais cette fiction ne peut avoir lieu à cause de la notion d’un être suprême ; qui dit suprême, dit par là aussi existence, et non seulement essence.

La démonstration ne diffère de la religion, qui, en effet, croit y découvrir une attaque insidieuse, que parce qu’elle fait de l'enthymème secret de la religion une conclusion formelle, et parce ce qu’elle explique et distingue ce que la religion combine : car la religion ne pense point en idée abstraite ce qu’elle appelle Dieu, ou le Suprême par excellence ; Dieu est pour la religion l’Abstrait et le Concret à la fois . Remarquez seulement que toute religion y fait une secrète conclusion, qu’elle laisse à l’état d'embryon sans se donner la peine de la développer : cela résulte de la méthode que suivent les religions quand elles font de la polémique entre elles. « Les païens, dit la religion chrétienne, n’ont pu imaginer quelque chose de plus élevé que leurs idoles, parce qu’ils étaient souillés par des passions infâmes ; leurs dieux reposent donc sur une conclusion, dont la prémisse est formée par les passions infâmes des païens : ils crurent que la meilleure vie était de suivre ses penchants, et ils étaient assez logiques pour adorer une vie de cette sorte comme une divinité. »

La religion chrétienne ne s’y trompe pas, mais elle ne sait ni ne