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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

dissertations, comme on ne se fatigue pas en démontrant ab ovo les vérités les plus élémentaires, qui depuis sont devenues des axiomes, sur lesquels on ne discute plus si l’on n’est pas frappé d’aliénation mentale. La religion avait fait séparation d’avec la raison et la morale, elle avait par là aveuglé les yeux au point de ne plus distinguer les différences entre le droit et le tort, le bien et le mal, entre l’utile et le nuisible ; les têtes étaient tellement endurcies par des préjugés religieux, les cerveaux étaient tellement comprimés, que la philosophie se voyait obligée d’employer des opérations chirurgicales très compliquées, de les trépaner pour leur instiller une petite goutte de bon sens.

Bayle, dans son Commentaire a affaire avec des hommes religieux tombés dans une entière sauvagerie intellectuelle et même dans une dépravation complète de la volonté, incapables de comprendre les vérités les plus évidentes et, si par hasard ils avaient compris, capables de les falsifier pour les nier ; avec des gens chez lesquels on doit essayer les traitements tes plus divers, avant d’en trouver un qui réussisse. Bayle a donc commencé chez eux par l’a b c, par la grammaire élémentaire du bon sens, en leur démontrant même les prémisses de ses démonstrations ; dans le Commentaire, par exemple, il soumet saint Augustin à un examen rigoureux sur les notions fondamentales de la logique et de la morale, et cela ressemble à une longue et dure enquête pénale où le juge d’instruction, avec une patience vraiment angélique, suit et démêle tes innombrables mensonges et faux-fuyants d’un criminel endurci pour en obtenir un aveu. Bayle y dissèque sous la loupe l’intolérance religieuse, ce monstre apocalyptique ; il y fait un calcul infinitésimal de la polémique, il est réellement pour la dialectique ce que Leibnitz est pour la métaphysique et les mathématiques ; il a introduit dans la polémique l’analyse de l’infini au point même de devenir un scolastique du bon sens. Bayle me paraît être l’homme qui a combattu l’intolérance avec des armes plus puissantes qu’aucun autre depuis la naissance du genre humain, car les efforts des sociniens et des arminiens avaient été disséminés et bientôt étouffés dans les flots de leur sang, L’intolérance toujours tourmentée d’un cuisant pruritus propagandi sui ipsius, ne cesse de trembler, car elle sait est vide de sens et de vérité, elle se craint elle-même, elle craint tout argument opposé comme une attaque mortelle ; en un mot,