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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

conséquence logique sera le non-sens sans bornes. Vous proclamez ainsi le Non-sens absolu, principe de toutes les choses existantes.

Il en est de ces lois morales comme de tout le reste. Quand, par exemple, on demande à la théologie : Comment faut-il expliquer le phénomène historique qu’on appelle le christianisme ? elle répond avec empressement qu’il ne faut point se donner la peine d’y réfléchir, et que le christianisme a été surnaturellement institué par son Dieu. Et pourquoi l’a-t-il institué ? puisqu’il lui a plu. Quare fecit Deus cœlum et terram ?…. quia voluit, s’écrie Augustin contre Manès ; mais cette explication augustinienne ne vaut pas plus que la manichéenne. La philosophie, au contraire, médite longtemps avant de répliquer : vous m’adressez, dit-elle, une question difficile à résoudre, car la raison, loin de se laisser entraîner par les transports de l’enthousiasme, marche péniblement à la sueur de son front à travers les études de l’histoire humaine et de l’histoire naturelle : un mathématicien ne demande qu’un seul point pour mettre la terre en mouvement, mais le philosophe n’a pas ce bonheur, il lui faut deux choses, le Temps et la Nature. Le temps dévoile tout mystère, la nature est toute-puissante, mais elle ne l’est pas par la simple volonté, elle l’est par la sagesse. 

Je dis donc la religion est une catégorie, cela signifie une forme essentielle de l’esprit humain, toutes les religions ont ainsi une base commune et des lois communes. Les philosophies occidentales diffèrent de celles de l’Orient, mais les unes comme les autres ont les mêmes lois logiques et métaphysiques, les mêmes formes intellectuelles, les mêmes idées générales la scolastique a produit chez nous la hiccité, qui exista depuis deux mille ans dans la philosophie sanscrite ; il en est de même quant aux religions. Aussitôt que le chrétien parle d’une religion païenne, il est obligé d’admettre l’identité intérieure et fondamentale entre elle et la sienne. Cette identité, c’est l’essence de la religion, et elle se manifeste même dans le fétichisme, triste caricature, il est vrai, mais qui est aussi instructive aux penseurs pour pénétrer la nature secrète de la religion, que le sont les passions et les aliénations mentales aux psychologistes. Chez quelques nations orientales et américaines on rencontre des idées religieuses qui ressemblent beaucoup au dogme chrétien, mais elles ne sont point les restes d’une religion historiquement primitive, ni les avant-courrières du christianisme.