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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

damnation aux flammes infernales ? Je dois donc croire par crainte, et le noble principe de la liberté théorique me paraîtra désormais un crime. Comme Dieu est la notion suprême de la religion, le crime suprême est le doute sur son existence : c’est là le fameux crime de lèse-majesté divine, et me voilà devenu un misérable esclave de ma crainte et de mon espoir, un esclave de mon âme affective.

Or, la religion ne se place que sur ce point de vue pratique ou subjectif ; tout par conséquent, qui se trouve derrière la conscience pratique, toute théorie scientifique s’occupant du monde objectif, lui paraît être placée en dehors de l’homme et de la nature, et concentrée dans un être personnel particulier, Dieu. Je prends ici, comme presque partout dans cet ouvrage, le mot théorie dans son sens primitif et général, comme la source de la véritable pratique objective ; car l’homme ne peut faire que tant qu’il sait, tantum potest quantum scit. Tout bien, surtout le bien qui, pour ainsi dire, tombe sur l’homme à l’imprévu et sans se présenter à lui comme résultat de sa préméditation, et qui par conséquent excède le cercle de sa conscience pratique, c’est-à-dire de son raisonnement et de son calcul, ne vient donc que de Dieu. Et d’un autre côté, tout mal, principalement le mal qui, pour ainsi dire, tombe sur l’homme à l’imprévu au milieu de ses bonnes intentions, en l’entraînant par une force inconcevable, ne vient que du Démon. Ainsi, Dieu et Diable se complètent l’un l’autre, et on est peu logique quand on nie celui-ci sans nier aussi celui-là. Pour étudier au fond la religion, il faut aborder aussi la question de Satan et des démons ; voyez sur l’idée que la Bible a sur la puissance et l’influence de Satan : M. Lutzelberger Doctrine de l’apôtre saint Paul, et M. Knapp, Leçons sur la dogmatique chrétienne, parag. 62 à 65 ; ce dernier y explique les maladies des démoniaques, dont la Bible fait si souvent mention. On ne saurait assurément rayer ces choses-là sans mutiler arbitrairement la religion. Comment, vous ne voyez pas que l’influence du Démon forme un contraste nécessaire avec l’influence de Dieu, avec la grâce divine[1] ?

  1. On sait combien, par exemple, Luther a eu à souffrir de ce qu’il appelle les tentations du Démon ; il dit que ce ne sont point là des tentations dites charnelles, l’instinct sexuel si contraire au spiritualisme hyperphysique du christia-