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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

absurde ; comme, par exemple, la vieille accusation : Uxores duxerunt haeretici pruritu coacti naturali, à quoi déjà un ancien protestant répondit par le sarcasme suivant : Uxores non duxerunt catholici pruritu contranaturali subacti. L’animosité du catholicisme romain contre cette réhabilitation de la nature organique, était motivée par le dogme qui avait proclamé la chasteté la vertu chrétienne par excellence : « Virginatis autem integritas angelica portio est, et in carne corruptibili incorruptionis perpetuae meditatio… profecto habebunt magnum aliquid praeter caeteros in illa communi immortalilate qui habent aliquid jam non carnis in carne, dit saint Augustin (de virgin.) : » ils seront donc, dans le ciel, préférés aux autres ; cela suffit pour stimuler l’ambition, et la virginité artiticielle est par là érigée en bien suprême qui conduit directement en paradis. Albert le Grand applique à la chasteté les mots de l’Apocalyspe : « Qui vicerit, inquit (scil. concupiscentiam carnis) dabo ei sedere mecum in throno meo, sicut et ego vici et sedi cum patre meo in throno ejus. Nam incorruptio facit esse proximum Deo ; Sap. VI, 10 (Enchirid. de virt., 6, 3), » et saint Jérôme dit : « Celui que les anges célestes adorent, veut aussi des anges ici-bas. » Aurèle Augustin[1], inconséquent comme toujours, après avoir chanté la gloire de la Virginitas, ajoute (c. 18) : « Je dois cependant dire à ceux et à celles qui s’adonnent à la sainte virginité et à l’abstinence perpétuelle, de préférer leur salut au mariage, mais de ne point croire le mariage un mal. » Ceci est encore un sophisme, car ce qui nous fait perdre notre portio angelica et notre place au ciel, mérite d’être appelé un mal, sinon aux yeux d’un déclamateur, du moins aux yeux du simple sentiment religieux et de la raison.

Des théologiens romains avaient beau établir leurs distinctions ad excusandum coïtum carnalem, comme ils s’exprimaient par

  1. «La chasteté supranaturaliste, a-t-on dit, a été implanté au christianisme par les sectes gnostique, encratite et manichéenne, elle ne lui appartient point primitivement. » Ceci est historiquement faux ; mais s’il en était ainsi, il s’ensuivrait que l’élément principal, celui qui forma et qui forme le véritable noyau de la doctrine catholique, était bien au fond la chasteté manichéenne, contre laquelle Augustin n’a fait de l’éloquence que parce que Manichée avait cette inflexibilité logique qui ne permet aucune tergiversation sophistique. (Note du traducteur.)