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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

dans toute sa rigueur, est un être personnel seulement d’après l’imagination capricieuse, et non d’après la nature de ses attributs logiques ; il est une notion abstraite, une entité toute rationaliste, tandis que le Christ est la personnalité plastique par excellence. Le Christ, à lui seul, est le Dieu personnel, le seul vrai Dieu des chrétiens, c’est une vérité qu’on ne saurait trop répéter à leurs oreilles. Dans lui seul la religion tout entière, l’essence de la religion s’est concentrée : les écrits des orthodoxes contre les hétérodoxes, surtout contre les sociniens, le font voir. Quelques théologiens modernes ont eu la singulière idée d’appeler antibiblique la divinité du Christ de l’Église ; ils se trompent. Cette divinité, il est vrai, ne se trouve pas encore dans l’Évangile absolument telle qu’elle se montrera plus tard dans la dogmatique, mais les dogmatiseurs n’en ont fait que tirer les conséquences nécessaires. En effet, un être qui (saint Jean, 16, 30) est la richesse corporelle de Dieu, qui est tout-puissant par des miracles, qui a devancé tous les autres êtres et toutes les choses du monde, d’après le rang et le temps, qui porte en lui la vie, bien que donnée, mais toujours la vie comme le Père, un pareil être ne serait donc pas Dieu en personne ? Que serait-il alors ? Le Christ est un avec le Père, d’après la volonté, et l’unité de volonté ne se base que sur l’unité d’essence ; le Christ est l’envoyé, le vicaire de Dieu, et Dieu ne pourrait se faire représenter que par Dieu, sans cela il dérogerait à lui-même. Ainsi. il n’y a plus de doute, dans Dieu le Christ se concentrent toutes les joies de l’âme affective et toutes ses souffrances ; il est l’unité personnifiée et vivante de l’âme affective et de l’imagination.

Me voilà donc arrivé à une conclusion importante. Toute autre religion a cela de particulier, qu’elle laisse subsister une séparation entre l’imagination et le cœur (ou l’âme affective). Le christianisme les réunit. Dans le christianisme, l’imagination ne peut plus divaguer, elle y suit la direction du cœur. elle est une périphérie circulaire dont le cœur forme le centre. Dans le christianisme,l’imagination est restreinte par tes besoins du cœur, elle ne réalise que les désirs de l’âme affective, elle ne se porte que sur la seule chose qui est nécessaire ; elle y a, en général du moins, une tendance pratique, concentrée, et point une tendance poétique et extravagante par excellence. Les miracles chrétiens, conçus dans le sein de l’âme affective en douleurs, ne sont pas les produits d’une spontanéité