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QU’EST-CE QUE LA RELIGION.

Dieu première Personne, est sans doute déjà un être humain, qui exauce les désirs et qui se soucie de la misère des mortels, mais il n’est pas encore homme réel, et partant éloigné de l’horizon de la conscience religieuse. Dieu deuxième Personne, au contraire, l’Homme-Dieu, est la solution du mystère de l’âme religieuse, seulement, il n’y faut pas se laisser prendre par le langage particulièrement allégorique dont la religion se sert, car ce qui se fait essence en Dieu est devenu manifestation dans le Christ. Dans ce sens, on peut appeler le christianisme la religion absolue. Toute religion veut réaliser son Dieu, qui n’est au fond que l’être humain ; elle veut l’introduire dans la réalité, où il sera, sous forme humaine, un objet à la conscience du Moi, et c’est évidemment la religion chrétienne qui atteint ce but par l’incarnation de Dieu, qui n’est point un acte passager : le Christ y reste homme, même après son ascension, homme de cœur et de forme, à ce petit changement près, que son corps est devenu invulnérable. Les incarnations des Orientaux, spécialement des Hindous, n’ont pas cette signification intensive ; elles se répètent si souvent, qu’elles perdent en valeur. L’humanité de Dieu est sa personnalité, et dire : Dieu est un être personnel, signifie : Dieu est un être humain ou, Dieu est homme. La personnalité est une abstraction qui n’a de la réalité que dans l’homme réel, d’où s’ensuit le mensonge et le ridicule dans les spéculations modernes que la théologie métaphysique entreprend sur la personnalité de son Dieu. Elle ferait bien, comme elle n’est pas scandalisée par un Dieu personnel, de le compléter par la matérialité et de proclamer franchement un Dieu personnel et physique à la fois. Rien de plus absurde qu’une personnalité abstraite sans chair et os ; c’est un fantôme. Chez les Hindous, la divinité est continuellement occupée de s’incarner en diverses personnalités, mais celles-ci sont par là-même extrêmement fugitifs, ce qui répond mal au besoin d’avoir une personnalité exclusive et permanente. Avec leurs nombreuses incarnations, les Hindous peuvent aisément en admettre encore d’innombrables, le jeu de l’imagination fonctionne sans interruption et sans bornes ; mais alors précisément arrive-t-il que les incarnations déjà réalisées ne se distinguent pas des incarnations à faire, les unes comme les autres appartiennent à la classe des illusions, des simples fantasmagories. Là au contraire, où l’on n’a qu’une seule personne divine incarnée, elle