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QU’EST-CE QUE LA RELIGION.

pour acquérir la vertu dans une voie naturelle. Nous dirons donc que ce dogme est le désir transcendant de jouir de la félicité et du salut éternel par un tour de force, par un coup de main pour ainsi dire, et d’une manière tout à fait merveilleuse, sans avoir besoin de subir le travail assez dur et quelquefois ingrat de nous débarrasser pas à pas de nos maux moraux. La nature du miracle est par conséquent la même partout, dans le domaine des choses spirituelles comme dans celui des choses corporelles. Luther (XVI, 490) dit qu’il nous faut seulement écouter et entendre la parole divine pour être sauvés. Mais prenez y garde, entendre cette parole et par conséquent en apprendre la foi, cela est à son tour un don de Dieu ; d’où s’ensuit que la foi est un miracle psychologique que Dieu opère dans l’homme. Or, comme l’homme, d’après la théologie, ne devient bon et vertueux que par sa foi, sa bonté et sa vertu ne pourront être que le résultat d’un miracle, et les vertus du paganisme ne sont au fond que des vices éblouissants.

La force miraculeuse, disions-nous tout a l’heure, est identique avec la notion de l’être médiateur et s’il était nécessaire d’en apporter encore une preuve historique, la voici : les miracles de l’Ancien-Testament, la législation, la providence ; bref, tous les éléments constitutifs de la religion sont plus tard transplantés chez les israélites dans la sagesse divine, dans le Logos. Dans Philon, ce Logos balance encore un peu dans l’air entre le ciel et la terre ; il y est tantôt un abstrait, tantôt un concret, parce que Philon balance entre la philosophie judaïco-hellénique et le mosaïsme orthodoxe de ses pères. entre l’élément positif de la religion et l’idée métaphysique de la divinité ; ce qu’il y a là de remarquable, c’est que l’élément abstrait, chez Philon, devient plus ou moins fantastique. Ce Logos n’acquiert de la consistance complète que dans le christianisme ; l’abstrait se change en un concret sans retour : en d’autres termes, la religion se concentre alors exclusivement dans un objet qui constitue une différence caractéristique, de sorte que l’essence de la religion se personnifie dans le Logos.

Dieu, comme Dieu le Père, c’est l’âme affective, mais l’âme encore fermée ; Dieu, comme Dieu le Fils, c’est l’âme épanouie et devenue objet à elle-même. Voilà donc pourquoi l’âme affective, le cœur, ne trouve la paix que dans le Christ ; Dieu le Père, c’est le cœur qui soupire, qui n’ose pas encore dire ; mais le Christ