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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

tout remplis qu’ils étaient du désir de voir le plus tôt possible disparaître cet univers, préféraient par prudence de ne pas préciser d’avance la date (saint Augustin, De fine sæculi ad Hesych. c. 13).

Foi, charité. espérance, voilà la trinité chrétienne. Cela veut dire que l’espérance nous remplit de voir réalisés nos désirs transcendants et les promesses divines ; que l’amour est dû à cet Être personnel qui nous a fait des promesses, que la foi enfin nous garantit l’accomplissement déjà fait de quelques-unes de ces promesses. Ces trois notions embrassent toute la subjectivité de l’homme tel qu’il est compris dans le christianisme. La disparition du monde est une partie intégrante de cet ensemble de désirs ; le monde existant n’est point très propre au libre essor de l’âme qui aspire vers le bonheur sans bornes, donc il devra cesser d’exister. Tout ce que cet homme souhaite, immortalité, toute-puissance, omniscience, il le réalise dans la foi ; lui-même vivra sans fin, son Dieu peut tout et fait tout. L’essence de la foi est donc que les désirs soient accomplis.

Le miracle, dit un poète allemand, est l’enfant le plus chéri de la foi. Celle-ci est le sommet de la félicité intérieure, sur lequel l’âme se trouve dans la plénitude de sa liberté fantastique ; les miracles et tous les autres objets dont la foi s’occupe, sont donc également imaginaires, ils contredisent au plus haut degré la nature universelle, et la raison qui représente la nature. « Quid magis contra fidem, quam credere nolle, quidquid non possit ratione attingere ?… nam illam quæ in Deum est beatus papa Gregorius negat plane habere meritum, si ei humana ratio præbit experimentum, » dit Bernard contre Abélard (Ep. ad dom. Papam Innocentium). Ainsi, point de concession : tu dois croire sans t’appuyer, même furtivement, sur ta raison. « Partus virginis nec ratione colligitur, nec exemplo monstratur ; quod si ratione colligitur, non erit mirabile, » décident les Pères du concile de Tolède (XI. artic. 4. Summa. Carranza), et ils ont cette fois raison contre la raison. « Quid autem incredibile, si contra usum originis naturalis peperit Maria et virgo permanet : quando contra usum nature mare cedit et fugit atque in fontem suum Iordanis fluenta remearunt ? Non ergo excedit fidem, quod virgo peperit, quando legimus, quod petra vomuit aquas et in montis speciem maris unda solidata est. Non ergo excedit fidem, quod homo exivit de virgine, quando petra profuit, scaturivit ferrum supra