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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

dernière puissance : les passions y sont aussi au plus haut degré, et le culte divin est tout composé de manifestations humaines : théâtre, musique, danse, course, lutte. Mais, remarquons-le bien, jamais ils ne posent leurs dieux comme des modèles, ni en vertu ni en vice ; tandis que le christianisme arrive avec ce commandement : Tu dois ressembler à ton Dieu et aux anges. Or, comme ceux-là sont des esprits, le chrétien est tenu à se spiritualiser. Les mystères religieux en Grèce païenne, les Orphiques et les Éleusinies avaient prêché une apothéose orientale des puissances naturelles et des abstractions de la nature, sans s’occuper en même temps d’anthropologie : on y avait les trois puissances de la Trimurti, des cosmogonies, la fin du monde, la vie éternelle, l’agriculture ; on voit bien que Schelling (Phil. de la Relig. 1804) se trompe quand il croit que le christianisme a toujours existé dans l’intérieur du paganisme classique, d’où il serait sorti a l’époque de la vulgarisation des mystères païens, et quand il les appelle les centres de la vertu publique : c’est exagérer. Mais dans le christianisme se sont conservées toutes les sectes païennes, et toutes les sectes païennes, depuis l’an 3000 avant Jésus-Christ, ont eu quelque chose qui se manifesta plus tard dans le christianisme ; les spéculations des philosophes, le Nous d’Anaxagore, les mystères païens dévoilés, le mysticisme des platoniciens et pythagoriciens, l’atomisme de Démocrite et d’Épicure, l’allégorisme des stoïciens, le messianisme judaïque, le démono-magisme des Perses, tout cela conflua peu à peu, et il en naquit le christianisme. Le dogme principal du christianisme l’Homme-Dieu, appartient à toute religion théocratique, despotique ou cléricale, tandis que les religions populaires, celles qui s’occupent des choses divines sans l’intermédiaire d’une caste, ont des apothéoses (voyez l’ouvrage éminent de Benjamin Constant, de la Religion, 1824). Ce qui reste désormais avéré, c’est que la lutte entre le jeune christianisme et le vieux paganisme n’était rien autre chose que celle entre la démonologie ou angelologie orientale, et le culte des images ou fétiches : de là la douceur des césars romains natifs de l’Orient envers tes chrétiens. Constantin organise la staurolâtrie, l’adoration de la croix qui était un fétiche comme tant d’autres, et depuis il y a en quelque sorte fusion du fétichisme et du démonisme (ou angélisme) sons le nom chrétien ce qui n’empêche pas la vieille haine de l’un contre l’autre, d’éclater dans des conditions données. Mais