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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

que Dieu est méprisé et poursuivi dans nous (IV, 577). » Tout ceci, il me semble, est une série d’arguments ad hominem qui prouvent l’identité de Dieu et de l’homme. Les Hellènes contemplent la nature avec leurs sens théoriques, c’est-à-dire par l’ouïe et la vue ; ils entendent de la musique céleste dans le cours des astres, ils voient Vénus Anadyomène qui surgit de l’écume de l’Océan universel. Les Hébreux ouvrent à la nature principalement leurs sens gastriques : il leur faut de la manne à manger pour s’apercevoir de leur Dieu ; « Vous aurez à souper avec de la viande, et le matin vous déjeunerez jusqu’à la satiété avec du pain, et vous verrez ainsi que je suis le Seigneur votre Dieu (Moïse, II, 16, 12). » Et Jacob fit un vœu en disant : « « Si Dieu veut être avec moi et me garder du pain à me nourrir et sur mon chemin de voyage, et me donner des vêtements pour m’babiller, et me reconduire en paix chez mon père, alors le Seigneur sera mon Dieu (Moïse, 1, 28. 20). »

Manger, voila l’acte le plus solennel, ou du moins l’initiation, dans le judaïsme. En mangeant, l’homme prouve en effet la nullité de la nature objective, il se la soumet, et plus encore, il se l’assimile : « Les soixante-dix chefs montèrent la montagne avec Moïse, et ils y virent Dieu, et après l’avoir vu, ils mangèrent et burent (Moïse, II, 24, 10, 11). » Tantum abest ut mortui sint, ut contra convivium hilares celebrarint (Clericus).

Le monothéisme, c’est l’égoïsme divinisé : l’égoïste adore son moi, et devient indifférent envers ce qui ne se rapporte pas directement à ce moi. Le polythéisme, au contraire, est le père des beaux-arts et des sciences, il a toujours les yeux ouverts pour le bien et le beau, pour l’univers tout entier. Salomon, il est vrai, dépasse tous les peuples vers le Levant en intelligence et sagesse, il parle même des arbres et arbrisseaux, du cèdre du Libanon jusqu’à l’hysope qui croît sur des murs, il parle des animaux, des oiseaux, des poissons, des vers (Liv. d. Rois, I, 4, 30) mais ce prince n’était guère un bon serviteur de Jehova, témoin son idolâtrie [1] et son harem étranger, il avait plutôt des tendances polythéistes, qui. je le répète, sont toujours et partout la base des sciences et des beaux-arts.

  1. Il brûla des enfants vivants entre les bras de l’idole Moloch ; voyez : Le Culte du Feu chez les anciens Hébreux, par M. Daumer (Le traducteur)