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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

que là où l’homme veut dominer la nature en l’exploitant pour son usage ou pour son bon plaisir, là où par conséquent il la dégrade en quelque sorte pour en faire un simple instrument, un produit de sa volonté. Il s’explique l’univers en t’expliquant d’après son entendement humain ; la question « D’où vient l’univers ? » est pour ainsi dire la suite de cette autre question : « Je suis étonné qu’il existe, pourquoi existe-t-il ? » Or, cet étonnement à propos de l’existence de la nature n’entre dans l’esprit que là où l’homme avait déjà commencé à faire scission avec elle, la où il l’a déjà déprimée au point d’en faire un simple objet de son bon plaisir. L’auteur du Livre de la Sagesse dit avec raison, que les païens admirent tellement la beauté de la nature qu’ils ont oublié par là de s’élever à l’idée de son créateur. Quand on regarde la nature comme un objet rempli de beauté infinie, on la conçoit indubitablement comme un objet nécessaire ayant en elle-même la cause motrice de son existence, et on ne pense jamais demander pourquoi elle existe ? Aux yeux de cet admirateur de l’univers, il existe parce que et puisque il existe ; une tautologie qui lui suffit parfaitement. Dans l’esprit cet homme, il y a fusion et identité des deux notions nature et Dieu ; le monde tel qu’il se meut devant ses yeux, lui parait bien être un produit, mais nullement créé dans le sens particulièrement religieux de ce mot, nullement un produit arbitraire.

L’homme ne dit ici rien d’irrespectueux en l’appelant un monde engendré, produit, né ; il ne déroge pas à l’admiration qu’il porte pour la nature, car les notions d’engendrement, de production, de naissance lui sont si peu choquantes qu’il appelle ses divinités même des êtres produits. La force génératrice de la nature[1] lui est

  1. Lingame, Yone, Phalle, etc. dans des symboles de toute sorte depuis l’amulette en miniature jusqu’à la colonnade d’obélisque de cent vingt pieds de hauteur dans la cour du temple à Babylone, depuis la pauvre idole rustique du Priape jusqu’à l’emblème en or et perles, et cela pendant des milliers d’années depuis l’Inde jusqu’à l’Espagne. En promenant sur tout ceci l’anathème et le fer, le christianisme primitif avait parfaitement raison, car les temps étaient accomplis, c’est-à-dire l’époque des religions naturelles et naïves était passée, elles étaient devenues scandaleuses ; l’esprit, longtemps heureux et sain dans ces langes innocents, avait grandi et il sortit du berceau païen : ceux qui ont voulu l’y retenir, furent frappés du jugement dernier de l’histoire, et même des césars romains, hommes admirables sous tous les rapports, ont dû être marqués du coin éternel devant l’Humanité comme persécuteurs du