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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

esset ; et aliud præter te non erat, une faceres es, Deus !… Et ideo de nihilo fecisti cœlum et terram[1] ; vere enim ipse est, qui incommutabilis est, non potest esse contrarium nisi quod non est. — Si solus ipse incommutabilis, omnia quæ fecit, qui ex nihilo id est ex eo quod omnino non est, — fecit, mutabilia sunt (de nat. boni, adv., Manich. I, 19) : Creatura in nullo debet parificari Deo, si autem non habuisset initium durationis et esse, in hoc parificaretur Deo (Albert. Magnus : quæst, in ord., I). » Le côté essentiel et positif du monde n’est pas ce qui donne à celui-ci sa qualité particulièrement mondaine, ou qui fait la différence entre le monde et Dieu (cette différence est précisément la nullité du monde), mais au contraire ce qu’il y a en lui de Dieu, ce qui n’est pas du monde : « Toutes les créatures ne sont qu’un pur et simple rien, sans essence, car leur essence ne se maintient que comme suspendue à la la toute-présence de Dieu : et si le grand Dieu ne s’en détournait que seulement un petit moment, elles s’évanouiraient toutes d’une fois et redeviendraient néant (Sermons de Tauler, 29 ; et August. Confess., VII, H). » Ceci est parfaitement vrai du point de vue religieux, car Dieu est l’essence du monde, mais l’essence représentée comme être personnel et différent du monde. Le monde existe tant que Dieu le veut ; il est périssable, mais l’homme est éternel : « Quam diu vult, omnia ejus virtute manent atque consistunt, et finis eorum in Dei voluntatem recurrit, et ejus arbitrio (car tel est mon plaisir) resolvunlur (Ambros., Hexæ, I, 5). Spiritus enim a Deo creati numquam esse desinunt… corpora cœlestia tam diu conservantur, quam diu Deus ea vult permanere (Buddeus, Comp., H, 11, 47). » Et Luther : « Ainsi, le bon Dieu ne crée pas seulement, mais aussi maintient ses créatures dans son essence tant qu’il lui plaira qu’elles existent. Et viendra le temps où il n’y aura plus un soleil, ni une lune avec des étoiles (IX, 418). La

  1. Saint Augustin, dans cette déduction si brillante, mais qui, comme toutes de sa plume, a quelque chose de forcé ou plutôt de désespéré, semble spécialement sous la pression de l’opposition manichéenne ; il aurait dû voir que, si chez ses adversaires l'univers naît d'un conflit de l'empire divin avec l'empire diabolique, ce même conflit s'opère dans le sein du Dieu chrétien, mais en abrégé pour ainsi dire. Du reste, l’univers chrétien a préexisté en Dieu, aussi bien que l'univers manichéen.  (Note du traducteur)