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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

d'admettre également celles de ses saints. Dieu est réellement le Christ attaché a la croix, dit l'Église, et elle rejette, sous peine d'anathèmes, les hérétiques qui parlent d'une image magique, d‘un spectre mis par Dieu a sa place et crucifié sous la forme de Jésus-Christ ; pourquoi l'image d'un saint ne serait-elle donc pas aussi véritablement ce saint même ? Vous objectez peut-être: la statue du saint a été faite par des mains humaines, tandis que la grande image primitive, le Christ à la croix, avait été produite par Dieu ; mais vous oubliez que l'inspiration de l'artiste était, elle aussi, venue de Dieu et du saint prototype ou original, dont la statue est une copie. — Bossuet dit[1] (Exposition, 79): « Pour les images, le concile de Trente défend expressément d’y croire aucune divinité ou vertu pour laquelle on les doive révérer, de leur demander aucune grâce et d'y attacher sa confiance , et veut que tout l’honneur se rapporte aux originaux qu'elles représentent. Toutes ces paroles du concile sont autant de caractères qui servent à nous faire distinguer des idolâtres, puisque, bien loin de croire, comme eux, que quelque divinité habite dans les images, nous ne leur attribuons aucune vertu que celle d'exciter en nous le souvenir des originaux... Il faut être peu équitable pour appeler idolâtrie ce mouvement religieux qui nous lait découvrir et baisser la tête devant l'image de la croix, en mémoire de celui qui a été crucifié pour l'amour de nous ; et ce serait être trop aveugle que de ne pas apercevoir l'extrême différence qu'il y a entre ceux qui se confiaient aux idoles, par l'opinion qu'ils avaient que quelque divinité ou quelque vertu y était, pour ainsi dire, attachée, et ceux qui déclarent, comme nous, qu‘ils ne se veulent servir des images que pour élever leur esprit au ciel, afin d'y honorer Jésus-Christ ou les saints , et dans les saints Dieu même… On doit entendre de la même sorte l'honneur que nous rendons aux reliques, à l'exemple des premiers siècles de l'Église ; et si nos adversaires (les iconoclastes protestants) considéraient que nous regardons les corps des saints comme ayant été les victimes de Dieu par le martyre ou par la pénitence, ils ne croiraient pas que l'honneur que nous leur rendons, par ce motif, pût nous détacher de celui que nous rendons a Dieu même; etc. »

Toute cette célèbre argumentation est parfaitement vraie dans la

  1. Ce développement est de la plume du traducteur