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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Un Inca péruvien objectait à un dominicain : « comment, tu adores un dieu qui a été tué sur la croix ? moi j’adore le soleil qui ne meurt jamais. » Dieu est appelé aussi « celui qui fait pleuvoir et luire le soleil sur les têtes des bons comme des méchans ; » c’est encore l’être universel de la nature qui embrasse tout « sans acception de la personne. » Il n’y a qu’une nature, donc il n’y a qu’un Dieu, dit Ambroïse. Les Germains, les Parses n’adorent leurs dieux que sous la voûte du ciel, ils disent : « le soleil est grand et beau, son créateur doit être plus beau et plus grand. » Delà, le regard physique se portant en haut vers l’infini de l’azur céleste, le regard intellectuel croit y voir aussi le Dieu de l’infini. Ainsi, la nature est toute puissante, bienfaisante, immense, surhumaine, mystérieuse, incompréhensible, inexorable, immuable dans sa loi éternelle : toutes ces qualités deviennent plus tard les qualités d’un Dieu personnel.

Dieu comme créateur de la nature, dit-on, est un être différent de la nature, mais il ne faut pas oublier que leur essence est identique. Saint-Paul lui-même veut qu’on reconnaisse Dieu dans l’univers. En d’autres termes : Dieu, cette cause primaire du monde est un être naturel, l’ensemble de toutes les forces mécaniques, physiques, chimiques ; végétales et animales.

L’origine de l’enfant au sein de sa mère, la circulation du sang, la digestion et d’autres fonctions organiques ne sont point les effets de la raison ni de la volonté : la nature universelle n’est pas non plus l’effet d’un être personnel doué de conscience et de volonté. Si elle l’était, elle serait le produit d’un esprit et partant les effets et phénomènes actuels de la nature, loin d’être primaires, ne seraient également rien autre chose que des manifestations secondaires. Admettez-vous un commencement surnaturel, vous devez alors appeler ainsi tout ce qui suit : c’est tenir la porte ouverte aux miracles, aux anges, aux démons. On ne saurait rattacher un développement naturel à une cause première surnaturelle.

« Le fils de Dieu, ont dit quelques pères d’église, n’est pas un effet de la volonté de Dieu, mais bien de la nature essentielle de celui-ci : l’acte de la génération, acte simplement naturel, est antérieur à l’acte de la création. » Cette thèse des anciens théologiens, qui contient malgré eux une vérité physiologique, est entièrement opposée à celle qui fait dériver de l’esprit divin la nature existante ;