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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

guère au christianisme dogmatisant, ce me semble, c’est à l’enthousiasme rationnel pour la nature, que nous devons la minéralogie, la botanique, la physique, la zoologie, l’astronomie et les autres sciences. La raison est panthéiste et universelle, le christianisme dogmatique est anthropothéiste.

La seule manifestation d’intelligence et de raisonnement dans la religion, c’est le postulat de la perfectibilité morale. Dieu, en ce cas, est le commandement suprême de la morale, la règle suprême du bien moral ; ce Dieu n’est rien autre chose que notre conscience humaine, qui nous crie constamment : tu dois te perfectionner, tu dois progresser.

Mais, je le répète, le Dieu de la morale abstraite, un Dieu séparé de l’homme, laissera ses adorateurs froids, parce que ceux-ci sentent l’énormité de la distance qu’il y a entre lui et eux. L’éternité et la toute-puissance sont trop immenses pour se prêter à la moindre comparaison avec ce petit point chétif et caduc qui s’appelle homme ; il faut donc nous prêcher, tant bien que mal, l’imitation de ce Dieu de la très-haute morale, représentée sous forme d’une loi. La loi s’adresse a notre volonté, elle éveille notre activité. Nous ne saurions, en effet, nous imaginer une volonté parfaite qui soit une avec la loi, sans y ajouter l’idée du devoir, de la stricte et rigoureuse observance. L’idée d’un être suprême de la morale pure et abstraite n’a rien de rafraîchissant, parce qu’elle nous fait trembler en nous excitant à courir vers un but que nous n’atteindrons jamais. Cette influence de la loi morale, adorée comme être suprême, s’opère en ce sens que nous plaçons, vis-à-vis de nous, un être qui n’est point autre chose que notre conscience, mais un être qui est étranger au nôtre, un être enfin qui ne sait que condamner et anathématiser.

Pour sortir de cette angoisse infernale, où nous sommes mis par l’adoration rigide et glaciale de la loi morale, il ne nous reste qu’un seul point d’appui le cœur. Le cœur est clément et doux, miséricordieux et pardonnant : la loi despotise, dit le vieux proverbe sacré, l’amour affranchit. Les anciens mystiques disaient : Dieu est l’être le plus sublime et le plus ordinaire à la fois. Leur dieu était le cœur, l’amour, tandis que la loi nous tue, comme Luther s’exprime (XVI, 320). L’amour, c’est l’idéalisme de la nature de l’univers, il est lui-même esprit ; les rossignols ne chantent, les roses ne fleurissent que par amour, et notre déplorable vie sociale d’aujourd’hui