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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

tion ou d’un mythe isolé ; les autres vont irrévocablement être entraînés dans le même abîme de la critique[1].

Dans le vrai catholicisme il ne reste debout que la syllogistique, la sophistique, qui est une activité intellectuelle, mais secondaire et dépourvue d’esprit. Elle se base sur le fameux praejudicium auctoritatis, et n’a par conséquent pas le moindre judicium en elle-même, ou plutôt son jugement est précisément dans le préjugé. L’opposition contre les nouveautés comme on disait alors, fut poussée par la Sorbonne jusqu’à condamner comme hérésie la prononciation améliorée de la lettre Q, qui avant 1550 avait été prononcée comme K (Freig. in vita Rami, Dict. de Bayle) et un évêque français révoqua un chanoine qui n’avait pas prononcé Paraclytus mais Paracletus, la Sorbonne aussi condamna Érasme à cause de cette innovation lexicographique. La scolastique se montra bonne catholique, comme toujours, dans les luttes de l’église contre la pensée à l’époque de la renaissance : à un grand médecin à Venise, qui fit voir à son auditoire que le tronc nerveux descend du cerveau et non du cœur, un péripatéticien catholique répondit après un moment d’hésitation : « vous avez si bien démontré à mes yeux que vous m’auriez convaincu, si le texte d’Aristote ne me prouvait pas le contraire. » Pascal, ce bon catholique, était malgré ses études tellement scolastique qu’il n’abandonna la théorie de l’horror vacui qu’à regret.

Ce qui est très caractéristique pour le catholicisme, c’est qu’il ne procède que par un intermédiaire : entre l’homme et Dieu, il y a le Christ ; entre le Christ et l’homme, il y a le pape ; entre l’homme et la nature les scolastiques interposent Aristote, et encore quel Aristote ! La version latine ! De même érige-t-il entre l’homme et la bible un mur — il l’appelle un pont — sous le nom de vulgate : « L. Allatius fait mention d’un décret de la congrégation générale des cardinaux, daté du 4 janvier 1577, portant qu’il ne fallait pas s’en écarter (de la traduction latine), pas même à l’égard d’une syllabe on d’un iota. » (Bayle répub. 131, 333).

  1. Niebuhr jeta dans le creuset de la critique les mythes de la fondation de Rome. Vint après lui nécessairement M. Strauss, qui en fit de même quant à ceux de la fondation du christianisme, plus tard encore MM. Feuerbach, Bauer, Daumer, qui dévoilent l’origine mythique de la religion en général. (Le traducteur)