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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

tée, et quand le scolasticisme dit que la toute-puissance ne peut que ce qui n’est pas contradictoire, il pose par là une restriction philosophique, païenne, et qui est approuvée par l’intelligence, mais écartée par la foi. Quel saint, quelle sainte, soit catholique soit autre, n’aurait pas fait ce que Dieu fait, des miracles ? Don Ignace de Loyola déclare dans Ribadaneira (première édition) qu’ils sont superflus, mais il en a fait beaucoup dans la deuxième (liv. V, 13). Du reste, même si saint Ignace n’eut pas jugé à propos de se légitimer par des miracles, son affidé saint Xavier en aurait exécuté suffisamment pour tous les deux : « On ne vit jamais, dit Bayle, plus de miracles que l’on n’en voit dans le livre Xaverius Thaumaturgus : On ne saurait faire un pas sans y en trouver, et l’on demanderait volontiers, qui des deux doit passer pour le miracle, ou l’interruption ou le cours de la nature ; on ne sait où est l’exception et où la règle, car l’une ne se présente guère moins souvent que l’autre (p. 350, Nouvelle de la répub. des lettres). » Les moines étaient assez bons catholiques pour croire les miracles opérés par les fondateurs de leurs ordres, au moins égaux à ceux du Christ (Dictionn. Bayle, Fr. Assisi Rem. N.). Or, la croyance aux miracles est un poison lent et mortel pour l’esprit scientifique ; elle efface radicalement toute ligne de démarcation entre le songe et la vérité, entre l’absurdité et la raison. Les écrits du jésuite allemand Athanase Kircher en sont un exemple éclatant : ce savant a débité des niaiseries sans nombre sur la nature. La croyance aux miracles ébranle la base de l’âme, elle la rend malade vis-à-vis de la nature, tandis que la croyance aux traditions lui ôte toute sympathie pour l’histoire scientifique, qui ne peut commencer que là où le mythe a cessé. Ce puéril engouement pour les choses merveilleuses et antiques est un héritage très édifiant que l’Église romaine tient du paganisme romain, qui lui aussi ne connut ni l’étude de la nature ni l’étude de l’histoire. Ainsi chaque fois que l’esprit historique apparut, le catholicisme lui barra le chemin : Abailard fut incarcéré pour avoir nié que saint Denis l’Aréopagite était le premier apôtre des Gaules, et la même chose faillit arriver a Launol, qui prouva que sainte Madeleine n’a jamais été en Provence, et que le prophète hébreu Élie n’est pas le fondateur des Carméites chrétiens. Cette obstination vient d’un instinct psychologique, qui ne se fait pas d’illusion sur les suites inévitables de la destruction d’une seule tadi-