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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

la physique, et cette fois sans phrase : mais en 1366 tous les ouvrages d’Aristote sont permis et déclarés légitimes par deux cardinaux, et Nicolas V en commande une traduction latine pour faciliter leur lecture. Le catholicisme dans sa vieille pureté logique rejettera toujours Aristote, représentant de la science : mais cet interdit est levé par le catholicisme devenu mondain, qui est capable de faire je ce sais quelles énormes concessions, soit pour se maintenir en vogue, soit parce qu’il se croit déjà à l’abri de tout danger. Thomas d’Aquin fut canonisé, il avait pourtant commenté les ouvrages d’Aristote, frappés de l’exécration papale ; mais la Sorbonne avait parfaitement raison d’accuser Thomas devant la curie de Rome, et elle reproche à ce docteur d’avoir enseigné : « Dieu ne peut pas faire des choses contradictoires, donc Dieu ne peut pas tout, il n’est point tout-puissant. » Saint Vincent Ferrera (canonisé en 1419) écrit : « Prêchez l’Évangile plutôt, car prêcher les paroles les paroles des damnés c’est la damnation, » et Jérôme dit que Platon avec Aristote est aux enfers ; ce Verba damnatorum praedicare damnaion doit être très rassurant pour les philologues et les penseurs.

Vous ne voyez aucune contradiction entre le vrai catholicisme et sa tolérance envers les sciences ? alors veuillez aussi admettre un accord complet entre lui et les mœurs si opposées à ses principes fondamentaux, les mœurs de ses moines et de son clergé : car la vie mondaine des ecclésiastiques est dans le domaine de la pratique absolument ce que dans celui de la théorie est l’intérêt scientifique. Si vous imputez au catholicisme ce que des catholiques ont fait pour les sciences, alors soyez logiques et imputez-lui aussi un mérite de l’art militaire, parce qu’il y eut jadis des évêques qui commandèrent des armées.

Mais sans répondre ici à la fameuse thèse du cardinal Pallavicini qui disait que l’Église, l’état de Dieu sur terre, devait non-seulement avoir la forme d’une magnifique monarchie solidement constituée, mais aussi faire usage du sabre, pour châtier les corps quand les âmes ne respectent plus l’autorité spirituelle : — nous trouvons dans le culte des miracles, des antiquités, de l’autorité, de la tradition, et dans l’idiosyncrasie fébrile contre les hérétiques, autant de preuves de l’inimitié éternelle entre le catholicisme et la science. Parmi ces attributs du catholicisme la croyance aux miracles occupe la première place : elle est, on ne le sait que trop, une croyance illimi-