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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

antithèses étant ici superflues et inutiles, cet être suprême t’est également.

Des chrétiens vraiment pieux[1] se moquent de la science, et parmi les papiers de Pascal ses héritiers trouvaient la note suivante : «Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences : Descartes.» La piété ne fait donc qu’effleurer : voilà l’idéal du catholicisme pur-sang. Et en effet, à quoi bon faire des études prosaïques et mondaines ? le ciel n’est-il pas ouvert avec ses joies poétiques et surmondaines ? qui ne préférerait l’intimité avec des saints et des anges à celle avec des écrivains profanes, voire même avec des bêtes, des plantes, des pierres ? Quand on vient de goûter de la manne céleste, on n’aimera plus la pomme de terre… Mais ce qu’il y a de déplorable dans tout ceci, c’est qu’aux yeux de la piété, soit chrétienne, soit autre, les sciences ne sont qu’un jeu, qu’un passe-temps, qu’un hors-d’œuvre. La science n’est admise qu’à la condition humiliante de se choisir un objet sacré : ainsi la théologie catholique ne répugne ni à l’Église ni au sentiment catholique. Du bon vieux temps de Rabane Maure, où l’Église romaine n’était pas encore compromise par le contact de tant de choses profanes, l’affection qu’un homme alors éprouvait par hasard pour les occupations scientifiques, ne fut approuvée qu’en prenant pour objet une matière ecclésiastique ou dogmatique. Delà le sort si varié d’Aristote au moyen-âge : en 1209, on commence à le connaître à Paris, et dans cette année même un concile parisien le condamne sous peine d’excommunication, ne quis eos de caetero scribere et legere praesumeret vel quocunque modo haberee, non-seulement parce que sa métaphysique avait donné naissance à l’hérésie d’Almaric (ce reproche n’était qu’un impudent mensonge), mais aussi parce qu’elle pouvait engendrer encore des hérésies futures (Joann. Lanoy, théol. Paris, de varia Arist. fortuna, 1720, Witemb. ab Elswich, p. 127). En 1215, le légat du pape y donne son assentiment, et on condamne aussi le livre Sur la Philosophie Naturelle ; mais en revanche, ce légat introduit la dialectique du païen Aristote au grand détriment de la dialectique de saint Augustin. Cinquante ans plus tard, un légat du pape supprime encore la métaphysique et

  1. Ceci est du livre P. Bayle, de M. Feuerbach. (Note du traducteur)