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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’homme, et tombe bien profondément au-dessous : les scandales et les horreurs de la civilisation chrétienne, depuis près d’un âge du monde, en sont la preuve. Les doctrines dogmatiques, toutes surnaturelles et surrationnelles, rendent l’homme à la fois déraisonnable et dénaturé ; les doctrines morales, toutes surnaturelles et surhumaines, conduisent au mensonge intérieur et à l’inhumanité. L’homme devient ainsi un acteur, il étudie péniblement un rôle qui ne peut pas lui convenir, et toute manifestation de son être ne lui parait qu’une métaphore allégorique de son modèle céleste : mais il ne peut se renier entièrement, la nature essentielle se révolte et s’envenime : ce sont les tentations charnelles des saints. Le protestantisme en a eu raison, mais après avoir anéanti ce symptôme, il a laissé subsister la maladie intérieure, la secrète hypocrisie d’un principe extravagant ; il a commis la faute du catholicisme de diriger l’homme vers un but purement fantastique. J’insiste surtout sur la différence radicale d’un amour vrai et d’un amour ordonné par n’importe quoi, soit par un dogme, soit par la loi dite morale. Ce dernier a beau se croire pur de tout égoïsme et de tout intérêt, il n’en est pas moins faux et il se ment à lui-même quand il se persuade d’être vrai ; le premier, il faut l’avouer, est égoïste en ce sens qu’il cherche et obtient à la fois la satisfaction des deux êtres. L’amour vrai est comme le pain sacré qu’on donna en symbole dans les saints mystères du paganisme, l’amour faux et supranaturaliste tel que la théologie chrétienne l’enseigne, trouverait son symbole dans le gâteau ; l’un est simple et naturel, l’autre est du luxe. Très caractéristique pour la théologie est ce qu’elle enseigne sur le corps humain tel qu’il sera au ciel : ce corps sera tout à fait semblable à l’actuel, mais il n’y aura en lui aucune sécrétion ni excrétion, il possède tous les organes sans aucune de leurs manifestations physiologiques ; dans ce corps-mensonge, dans ce mensonge incorporé la théologie tout entière se résume. Il est corps incorporel, de même est son Dieu, un être personnel sans personnalité, réel sans réalité, vivant sans vitalité ; le corps au ciel possède tous nos organes, mais sans le moindre but et motif, de même Dieu a-t-il les qualités essentielles de l’homme, esprit, intelligence, amour et volonté, mais sans en avoir besoin, car l’esprit suppose la chair, l’intelligence l’inintelligence, la volonté l’apathie, et l’amour le désir ; or, toutes ces