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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

moral parce que Dieu, son créateur, est bon. – Cette phrase insolente, qui lance la plus affreuse de toutes les calomnies contre l’homme, va se changer victorieusement sous les yeux de la critique intelligente en celle-ci : l’homme aspirant vers le bien moral, est nécessairement bon de nature, Dieu dit-on, ne s’occupe que du salut de l’homme ; or, l’homme aspire vers Dieu, donc l’homme s’occupe du salut de l’homme. Voilà par conséquent l’homme, cette misérable et mesquine créature, humiliée par la religion jusqu’au dernier degré, qui s’élève tout coup jusqu’à devenir le seul but de toute l’activité de Dieu. On peut très bien comparer la religion dans ce double mouvement à la systole et à la diastole du cœur physique ; l’activité des artères, qui pousse le sang jusqu’aux extrémités de notre corps, c’est la systole religieuse par laquelle l’homme pousse au loin son être humain, qui par là devient étranger à lui ; l’activité des veines, qui ramène ce sang des extrémités de notre organisme vers le centre, vers le cœur, c’est la diastole religieuse par laquelle l’homme reçoit de nouveau son être humain.

Quand on contemple les religions qui vont en se développant dans le progrès historique, on voit que l’homme est occupé d’un travail anti-religieux, c’est-à-dire qu’il ôte à la religion peu à peu les trésors dont il enrichit insensiblement l’être humain.

Ainsi, la religion révélée des Hébreux (Moïse, V, 23, 12, 13), humilie l’homme tellement qu’elle lui fait voir des commandements positifs de Dieu dans les instincts primitifs et naturels de l’organisme humain : entre autres celui de la propreté, de la décence la plus vulgaire. Plus tard vient la religion révélée des chrétiens : elle sait déjà classer les affections, les instincts, les besoins de l’homme, selon leur but, leur contenu, leur objet, elle attribue les bons à Dieu, elle exclut de Dieu ceux qu’elle ne juge pas dignes de lui. Elle distingue ainsi entre la propreté morale intérieure, et la propreté matérielle extérieure ; le mosaïsme avait identifié l’une avec l’autre (Moïse, I, 35, 2 ; III, 11, 44, 20, 26, et le Comment. de Clericus). Le christianisme, comparé au mosaïsme, est la religion de la critique et de la liberté. L’israélite n’osait pas choisir ses aliments sans consulter son Code religieux, le chrétien était un esprit-fort, un athée sous ce rapport. Voyez donc combien ces choses changent ; la religion d’hier n’est plus la religion d’aujourd’hui, et ce qui est athéisme aujourd’hui, s’appelle demain religion.