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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

vient d’accueillir le sacrifice. Ainsi, l’homme religieux renie sa raison ; il proclame hautement de ne point connaître Dieu par lui-même, et de ne le comprendre qu’à l’aide de la révélation divine. Mais voyez, en revanche, ce Dieu s’occupe des affaires humaines, il s’accommode paternellement à ses créatures mortelles, il se fait leur guide, leur précepteur, il ne perd jamais de vue ses élèves chéris ; en d’autres termes, l’homme en abdiquant son savoir humain, le place plus haut, le place en Dieu. L’homme abdique entièrement sa personnalité, il s’humilie jusqu’au dernier degré ; mais son Dieu en devient la personnalité suprême, le Moi par excellence, l’honneur personnifié ; gloriam suam plus amat Deum quam omnes creaturas. L’homme est méchant, dit la religion, et elle se hâte d’ajouter Dieu est bon ; assertion qui, soit dit en passant, se détruit elle-même. Un être absolument méchant, méchant par nature, ne saurait jamais aspirer vers le bien, et c’est précisément ce que la religion ne cesse d’exiger de lui. La moindre réflexion en démontre déjà le non-sens ; je ne saurais apercevoir la qualité d’un tableau si je manque absolument de la faculté esthétique. Il faut donc plutôt poser ce dilemme : ou le bien n’existe point pour l’homme, ou il existe pour lui, et en ce cas l’existence du bien prouve à l’homme individuel d’une manière frappante que l’essence, que la nature humaine en général, est belle, bonne et sainte. Et c’est précisément de là que nait le péché et, remarquez-le bien, la conscience du péché, la conscience du mal ; l’individu humain s’aperçoit de sa petitesse individuelle qui est en contradiction avec la grandeur sublime du genre humain ; il reconnaît ses péchés individuels en les comparant à la sainteté de la nature essentielle de l’homme ; il ne saurait la mesurer par la nature d’un autre être absolument différent de lui.

Toute la différence entre l’Augustianisme et le Pélagianisme se résume en deux mots : celui-là dit par la bouche de la religion ce que celui-ci dit par la bouche du rationalisme. L’un et l’autre font de la vertu une qualité humaine ; saint Augustin le dit indirectement, d’une manière mystique ou religieuse, Pélage d’une manière directe, rationnelle, morale. Si Augustin nie l’homme, il abaisse Dieu en lui imposant l’humiliation de la croix ; Pétage nie Dieu et la religion : Isti tantam tribuunt potestatem voluntati, ut pietati auferant orationem, s’écrie saint Augustin (de nat. et grat. cont. Pelag. c. 58). Pélage prend pour base uniquement le Créateur,