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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

n’a point d’Attribut exactement défini, exactement circonscrit et réel, c’est-à-dire parce que la Substance n’a point d’Attribut du tout. On peut s’étonner de la tournure inattendue que prend ici ce mouvement spéculatif, mais on se convaincra bientôt de sa vérité logique, en voyant comment la vide et simple unité de la pensée se complète par la multiplicité également indéterminée de l’imagination, de sorte que l’attribut, qui n’est point un multum, devient forcément multa. Le vrai est que le penser et l’extension sont les deux attributs positifs et précis ; ils sont déterminés, et, en ne nommant que ces deux-là, on dit infiniment plus que par tout le reste des attributs qui n’ont pas de nom.

Revenons à notre thèse. Il est maintenant acquis que, comme les attributs sont véritablement le sujet, un sujet divin, les attributs duquel sont des attributs humains, doit être un sujet humain. Les attributs sont des attributs généraux et des attributs personnels. Les généraux, de nature métaphysique, ne servent à la religion que pour point d’appui assez lointain, ce n’est pas de là qu’elle tire son caractère particulier. Les attributs personnels, au contraire, sont les éléments constituants de la religion ; Dieu est personnalité, Dieu est législateur, Dieu est père de l’homme, Dieu est le miséricordieux, le juste, etc. Or, toutes ces qualifications sont d’une manière plus ou moins évidente des qualités humaines. La religion, qui, on le verra bientôt, ne sait point ce que c’est qu’un anthropomorphisme procède pourtant uniquement par eux. Elle voit sous ces attributs humains l’essence divine, mais sans soupçonner le moins du monde leur nature humaine ; ce n’est que la réaction sur la religion qui nous apprendra que ce sont des images empruntées à l’humanité. Aux yeux de la religion la phrase : Dieu est le père de l’homme, est une réalité. La religion a cette particularité qu’elle exprime, par la bouche du Concile de Latran, par exemple, dans le 2e canon (Summa omnium Concil. Carranza, Antwerp. 1559, p. 326) de la manière suivante : Inter creatorem et creaturam non potest tanta similitudo notari, quin inter eos major sit dissimulitudo notanda ; ce qui se réduit en dernière instance indubitablement à ceci : Dieu est Ens; l’homme est Non-Ens, Dieu est Quelque chose, l’homme est Rien. Et c’est en effet la plus sublime hauteur à laquelle l’imagination spéculative et religieuse peut s’élever. Le raisonnement résulte nécessairement de la nature de la spé-