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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

Nos voisins ont combattu par les armes de l’esprit, nous avec celles de la réflexion. »

« Les Français d’alors sentent le besoin immense de faire leurs recherches philosophiques, un besoin profond et qui embrasse l’univers tout entier, c’est vraiment merveille à voir ; on ne peut point dire cela de nos Allemands. Chez les Français on trouve une vue générale et concrète du grand tout, et ils ont rompu aussi bien avec l’autorité quelle qu’elle soit qu’avec la métaphysique abstraite. Quelle grande et lucide manière d’envisager le monde ! Toujours et partout ils ont en vue le tout sans oublier les détails. C’est ainsi qu’ils ont réussi à établir et à garder des pensées universelles, des maximes générales qui proviennent directement de la conviction intérieure de l’individu ; c’est ainsi que la liberté devient état politique, en se combinant avec le développement du genre humain et y faisant époque ; c’est la liberté concrète de l’esprit, la généralité concrète, il n’y a rien qui soit abstrait. Chez les Allemands il est je ne saurais dire combien de pédanterie ; ils veulent tout définir, expliquer, circonscrire, peser, mesurer jusqu’au dernier phénomène, et ne mettent au monde que de pitoyables spécialités (III, 511). » « Nous autres Allemands sommes d’abord passifs en face des choses existantes nous avons supporté toutes les horreurs ; puis, sont-elles renversées, nous sommes nouveau passifs ; ce ne sont que les français qui ont renversé, et nous les avons regardés à l’œuvre (III, 517). » « Rousseau a déjà proclamé l’Absolu dans la liberté. Kant a érigé le même principe d’une façon théorique. Les Français l’ont fait du côté de la volonté ; ils ont le proverbe : Il a la tête près du bonnet, cela veut dire qu’ils ont le sens de la réalité, de faction, de l’aplomb de sorte que l’idée se transforme chez eux immédiatement en fait. Les Allemands ont je ne sais quel fatras dans et sur leur crâne ; la tête allemande reste encore tranquillement coiffée de son bonnet de nuit et n’opère qu’intérieurement (III,553). »

« Les philosophes de la France ont porté et planté, comme étendard des peuples, la pensée, la libre conviction, la conscience. Ils ont dit à l’homme : Tu vaincras dans ce signe ! Ils avaient en vue tout ce qui avait été fait sous la croix, tout ce qui par là était devenu foi religieuse, droit et religion ; car dans le signe de cette croix chrétienne le mensonge et la fraude avaient alors triomphé,