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— Vous faites-là, mon oncle, un fort vilain métier.
— Que veux-tu, mon neveu ? c’est aujourd’hui l’usage.
— Adieu, je n’eus jamais affaire à l’usurier.
Ciel ! quel pays ! quelles mœurs ! quel langage !
Sans doute mon ami sera resté plus sage.
Il va chez lui ; c’étoit un fournisseur
De la plus grosse des armées,
Qui dans maintes, maintes contrées,
S’étoit livré de tout son cœur
Au plaisir d’entasser richesse sur richesse ;
Mais de peur de tarir la source du trésor,
Avec prudence, avec adresse,
Il avoit enfoui cassettes pleines d’or ;
Et de retour alors dans sa chère patrie,
Sans train et sans éclat, menoit petite vie.
Se rappelant leur première amitié,
Du voyageur il a presque pitié :
Que je regrette mon voyage !
Disoit ce malheureux, je veux me rembarquer ;
Des secours du sauvage, ah ! je ne puis manquer !
Avec un être bon tous ses fruits il partage.
Le fournisseur qui craint de le voir davantage,
Lui dit : pour l’Amérique on leste un bâtiment ;
Mais il faut partir à l’instant :
Tiens, mon ami, voilà le prix de ton passage.
— Adieu… sans ton bienfait j’aurois dit chaque jour,
Sur les rochers, au bois, sur le rivage,
Partout enfin aux échos d’alentour :
L’homme civilisé ne vaut pas le sauvage.