FABLE XCVI.
LES INCONSÉQUENS.
Chez les humains tout est inconséquence,
Et même chez beaucoup de gens
Doués d’esprit et de bon sens.
Ce mal, dit-on, est fort commun en France.
Oh ! quel pays voudra-t-on parcourir
Qui, comme ici, ne puisse offrir
La preuve de ce que j’avance ?
Je vais en alléguer deux exemples frappans
Et récens.
Un Bas-Breton avoit bibliothèque immense,
Auteurs hébreux, latins, grecs, arabes, anglais,
De leurs langues n’ayant aucune connoissance,
N’ouvrant jamais un livre et parlant mal français.
Il pouvoit, dira-t-on, protéger la science,
Laisser dans son trésor puiser l’homme savant :
Non, point du tout ; par sa bizarrerie
Il éloignoit bientôt les regards de l’envie ;
Ne prêtoit nul auteur, fût-il bon ou méchant ;
Il auroit mieux aimé prêter de son argent.
– Venons à l’autre inconséquence :
Privé du jour dès son adolescence,
Un aveugle, en un mot, n’aimoit que les tableaux.
Il se piquoit d’avoir, dans une galerie,
Les chefs-d’œuvres originaux
Des fameux peintres d’Italie,
De la Flandre et de l’Ibérie.
Dans ce lieu ses amis n’avoient pas droit d’entrer ;
L’étranger seul y pouvoit pénétrer,