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de résistance ? Que de souffrances n’a-t-il pas fallu pour lasser la patience de ce peuple et le raidir enfin contre l’oppresseur ?

Le pauvre ne connaît pas la source de ses maux. L’ignorance, fille de l’asservissement, fait de lui un instrument docile des privilégiés. Écrasé de labeur, étranger à la vie intellectuelle, que peut-il savoir de ces phénomènes sociaux où il joue le rôle de la bête de somme ? Il accepte comme un bienfait ce qu’on daigne lui laisser de ses sueurs, et ne voit dans la main qui l’exploite que la main qui le nourrit, toujours prêt, sur un signe du maître, à déchirer le téméraire qui essaie de lui montrer une destinée meilleure.

Hélas ! l’humanité marche avec un bandeau sur les yeux et ne le soulève qu’à de longs intervalles pour entrevoir sa route. Chacun de ses pas dans la voie du progrès écrase le guide qui le lui fait faire. Toujours ses héros ont commencé par être ses victimes. Les Gracques sont mis en pièce par une tourbe ameutée à la voix des patriciens. Le Christ expire sur la croix aux hurlements de joie de la populace juive excitée par les Pharisiens et les prêtres et, naguère, les défenseurs de l’égalité sont morts sur l’échafaud de la Révolution par l’ingratitude et la stupidité du peuple, qui a laissé la calomnie vouer leur mémoire à l’exécration. Aujourd’hui encore les stipendiés du privilège enseignent chaque matin aux Français à cracher sur la tombe de ces martyrs.

Qu’il est difficile au prolétariat d’ouvrir les yeux sur ses oppresseurs ! Si, à Lyon, il s’est levé comme un seul homme, c’est que l’antagonisme flagrant des intérêts ne permettait plus l’illusion à l’aveuglement même le plus obstiné. Alors se sont révélés les trésors de haine et de férocité que recèlent les âmes de ces marchands. Au milieu des menaces de carnage, de toutes parts accouraient pour l’extermination canons, caissons, chevaux, soldats. Le devoir du travailleur lyonnais, l’homme-machine, c’est de pleurer la faim, en créant jour et nuit, pour les plaisirs du riche, des tissus d’or, de soie et de larmes.

Mais une si dure tyrannie a ses dangers : le ressentiment, la révolte. Pour conjurer le péril, on essaie de réconcilier Caïn avec Abel. De la nécessité du capital comme instrument de travail, on s’évertue à conclure la communauté d’intérêt, et par suite, la solidarité entre le capitaliste et le travailleur. Que de phrases artistement brodées sur ce canevas fraternel ! La brebis n’est tondue que pour le bien de sa santé. Elle redoit des remerciements. Nos Esculape savent dorer la pilule.

Ces homélies trouvent encore des dupes, mais peu. Chaque jour fait plus vive la lumière sur cette prétendue association du parasite et de sa victime. Les faits ont leur éloquence ; ils prouvent le duel, le duel à mort entre le revenu et le salaire. Qui succombera ? Question de justice et de bon sens. Examinons.

Point de société sans travail ! partant point d’oisifs qui n’aient besoin des travailleurs. Mais quel besoin les travailleurs ont-ils des oisifs ? Le capital n’est-il productif entre leurs mains, qu’à la condition de ne pas leur appartenir ? Je suppose que