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La servitude, en effet, ne consiste pas seulement à être la chose de l’homme ou le serf de la glèbe. Celui-là n’est pas libre qui, privé des instruments de travail, demeure à la merci des privilégiés qui en sont détenteurs. C’est cet accaparement et non telle ou telle constitution politique qui fait les masses serves. La transmission héréditaire du sol et des capitaux place les citoyens sous le joug des propriétaires. Ils n’ont d’autre liberté que celle de choisir leur maître.

De là sans doute cette locution railleuse : « Les riches font travailler les pauvres ». À peu près, en effet, comme les planteurs font travailler leurs nègres, mais avec un peu plus d’indifférence pour la vie humaine. Car l’ouvrier n’est pas un capital à ménager comme l’esclave ; sa mort n’est pas une perte ; il y a toujours concurrence pour le remplacer. Le salaire, quoique suffisant à peine pour ne pas mourir, a la vertu de faire pulluler la chair exploitée ; il perpétue la lignée des pauvres pour le service des riches, continuant ainsi, de génération en génération, ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs, qui constitue les éléments de notre société. Quand le prolétaire a suffisamment souffert et laisse des successeurs pour souffrir après lui, il va, dans un hôpital, fournir son cadavre à la science, comme moyen d’étude, pour guérir ses maîtres.

Voilà les fruits de l’appropriation des instruments de travail ! Pour les masses, des labeurs incessants, à peine l’obole de la journée, jamais de lendemain sûr, et la famine, si un caprice de colère ou de peur retire ces instruments ! Pour les privilégiés, l’autocratie absolue, le droit de vie et de mort ! Car ils ont les mains pleines, ils peuvent attendre. Avant que l’épuisement de leur réserve les contraigne à capituler, le dernier plébéien serait mort.

Qui ne se rappelle les misère de 1831, quand le capital s’est caché par crainte ou par vengeance ? Du fond de leur fromage de Hollande, les barrons du coffre-fort contemplaient froidement les angoisses de ce peuple décimé par la faim, en récompense de son sang versé au service de leurs vanités bourgeoises. Les représailles de la grève sont impossibles.

Les ouvriers de Lyon viennent de les tenter. Mais à quel prix ! Soixante mille hommes ont dû fléchir devant quelques douzaines de fabricants et demander grâce. La faim a dompté la révolte. Et n’est-ce pas un miracle même que cette velléité