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sifs, qui s’échelonnèrent durant plusieurs dizaines d’années. A des secousses religieuses, intellectuelles, morales, telles que le bouddhisme, le christianisme, la Renaissance, il a même fallu des siècles pour se développer pleinement. Elles comptent néanmoins parmi les plus notables que l’histoire ait enregistrées. Loin d’être calquées sur un modèle invariable et indéfiniment répété, les révolutions présentent donc des physionomies assez différentes pour qu’on hésite à les classer sous une rubrique commune. Toujours, cependant, elles supposent l’existence d’un déséquilibre ; et elles ne réussissent que dans la mesure où elles y remédient. S’il en est dont la faillite fut complète, si beaucoup n’ont réalisé qu’une minime partie du programma prévu par les animateurs, l’humanité leur doit, dans l’ensemble, les meilleures transformations sociales obtenues par les collectivités. Maintes fois, elles furent le début d’étapes glorieuses sur la route du progrès. Mais aucune n’a pu faire œuvre définitive, parce qu’elles n’apportaient que des vérités fragmentaires, parce qu’elles ne visaient qu’à un affranchissement partiel, non à la libération totale des corps et des cerveaux.

Quand nulle chaîne ne tiendra plus l’homme captif, ce jour-là seulement l’esprit de révolte aura disparu. Sachons rendre justice, néanmoins, à tous ceux qui luttèrent pour le bien de notre espèce. Ils furent souvent trahis par leurs disciples et leurs héritiers ; en leur nom, des continuateurs infidèles imposèrent de nouveaux liens aux peuples odieusement trompés ; des institutions qu’ils voulaient douces aux humbles se figèrent en instruments d’oppression. D’autres révolutionnaires eurent à démolir lois et dogmes qui se recommandaient de ces anciens révoltés. Une vue d’ensemble sur les principales secousses religieuses, morales, intellectuelles, politiques, économiques qui ébranlèrent l’humanité, depuis l’antiquité jusqu’à la Révolution française, va d’ailleurs nous permettre de vérifier l’exactitude des diverses remarques que nous venons de faire.

De prodigieux soubresauts furent probablement, ressentis à l’époque préhistorique, lorsque se répandit l’usage du feu, des premiers instruments en bois et, plus tard, des outils en pierre et en os. L’utilisation du bronze, puis du fer, l’invention des arts et de l’écriture, certaines découvertes qui modifiaient profondément le genre de vie traditionnel occasionnèrent, sans aucun doute, des bouleversements, parfois assez brusques, dans le régime individuel et l’organisation collective alors habituellement adoptés. Mais, sur ces événements, nous sommes réduits à des hypothèses, la préhistoire n’apportant que des lumières encore restreintes dans ce domaine spécialement obscur. Même concernant les débuts de l’époque historique, nous possédons trop peu de documents authentiques pour parler des révolutions qui furent un ferment de progrès. En règle générale, l’humanité s’enfonce alors dans un servage de plus en plus complet ; les rois sont des dieux que l’on croit sur parole, auxquels on obéit aveuglément ; et les travailleurs se résignent à devenir les bêtes de somme de quelques privilégiés. Ligoté par des chaînes religieuses, morales, économiques, familiales, dont le nombre et le poids s’accroissent constamment, l’individu n’est plus qu’une chose sans droits aux mains d’un maître absolu. Loin de s’élever vers de radieux horizons, notre espèce descend vers le tréfonds de l’enfer social. Notons cependant que l’évolution humaine ne suivit point partout une marche uniforme, et que la liberté se maintint, à des degrés divers, en certaines contrées. Progrès et décadence purent aussi coexister dans des domaines différents ; le perfectionnement de l’outillage, par exemple, s’accommoda quelquefois sans peine d’une régression morale et sociale.

L’Inde si riche en ouvrages religieux et philosophi-

ques, manque presque complètement d’annales historiques. La Chine en possède et la tradition historique tient une place honorable dans sa littérature ; on peut en dire autant du Japon. Légendes et fables y occupent toutefois une place trop considérable, dès qu’il s’agit d’époques reculées. Grâce aux découvertes des archéologues, nous avons maintenant des données authentiques sur l’ancienne Égypte, ainsi que sur les civilisations assyrienne et babylonienne. Dans l’histoire de ces peuples nous trouvons de fréquentes conquêtes, de nombreux changements dynastiques, des révoltes inspirées par l’intérêt personnel ou collectif, mais point de révolution au sens élevé du mot. Certains rois, tels que Hannurabi qui gouvernait la Babylonie vers 2100 avant notre ère et le pharaon Aménophis IV (1380-1360) s’efforcèrent de faire triompher des idées morales ou religieuses qui constituaient un progrès sur les idées antérieures. Pas plus que Zoroastre, le législateur religieux de l’Iran, ou les philosophes chinois Laotsé et Confucius, ce ne furent des révolutionnaires.

Le bouddhisme, au contraire, fut par rapport au brahmanisme ce que la Réforme protestante devait être, plus tard, par rapport au catholicisme. En rejetant la tyrannie des prêtres et le régime des castes, Gautama, son fondateur, se posa en adversaire des autorités religieuses. Il croyait à la transmigration des âmes, mais ne parla jamais de dieu ; sa morale, toute de douceur, annonce celle de l’Évangile. Né au ve siècle avant Jésus-Christ, le bouddhisme fut persécuté dans l’Inde son pays d’origine ; il obtint par contre un prodigieux succès au Thibet, en Chine, au Japon, en Indo-Chine, etc. Oublieux de la vraie doctrine de Gautama, il a versé depuis dans une monstrueuse idolâtrie et les pires superstitions.

Chez les hébreux, la prédication des prophètes prit fréquemment un aspect révolutionnaire. Hostiles au formalisme et à l’hypocrisie, favorables aux pauvres, préoccupés de pureté morale, ces réformateurs furent suspects aux puissants de l’époque. Sur l’identité véritable des prophètes hébreux, sur l’authenticité des ouvrages qu’on leur attribue, l’on peut discuter ; dans ce domaine, bien des faussaires ont donné libre cours à leurs fantaisies. Quelle que soit la personnalité des auteurs, certains livres prophétiques font présager l’esprit moderne et témoignent d’une hostilité violente à l’égard des traditions établies.

En Grèce, plusieurs révolutions athéniennes furent inspirées par le goût de la liberté. A partir de 750 avant notre ère, il n’veut plus de roi ; le pouvoir passa complètement aux mains de neuf magistrats : les archontes, et (l’un tribunal suprême : l’Aréopage. Mais le peuple fut durement traité par ces nouveaux maîtres, recrutés uniquement dans l’aristocratie. En 624, paysans et ouvriers obtinrent que les jugements seraient fixés d’après des règles écrites et non d’après des coutumes imprécises et variables. Et, comme les lois rédigées par l’archonte Dracon étaient d’une dureté excessive, les troubles continuèrent jusqu’à la rédaction de lois moins inhumaines par Solon, en 594. Pour les fonctions gouvernementales, on accorda la préférence aux citoyens riches.

Dès 590, Pisistrate s’empara de la totalité du pouvoir ; il resta tyran, c’est-à-dire maître absolu, jusqu’à sa mort survenue en 527. Mais ses deux fils, Hipparque et Hippias, ne purent se maintenir. Le premier fut tué par deux jeunes gens, Harmodios et Aristogiton, qui sacrifièrent leur vie pour l’amour de la liberté ; le second, chassé d’Athènes en 510, se réfugia à la cour du roi des Perses. Clisthène, le plus ardent adversaire d’Hippias, réorganisa le gouvernement dans un sens favorable au peuple.

Une nouvelle révolution éclatera en 403, à Athènes. Profitant des malheurs endurés par la ville durant la