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de la Ricamarie (Loire) pendant les dernières années de l’Empire.

Puis ce fut la guerre de 1870-71 et la Commune où plusieurs des membres français du Conseil général de la Première Internationale, dont Varlin, jouèrent un rôle de premier plan.

Puis, après l’échec du mouvement communaliste vint la répression versaillaise avec Thiers et Galiffet qui exterminèrent, emprisonnèrent et déportèrent plus de trente mille personnes à Paris, cent dix mille dans la France entière.

Œuvre vaine, d’ailleurs, puisque les auteurs de ces méfaits abominables virent eux-mêmes se reconstituer presque aussitôt le mouvement qu’ils avaient cru détruire à jamais. N’y a-t-il pas là, dans cette résurrection, de quoi anéantir tout le pessimisme d’aujourd’hui ?

Les premiers qui tentèrent de reconstituer le mouvement ouvrier, sous l’état de siège et l’ordre moral, n’étaient certes pas des révolutionnaires. Mutuellistes, républicains, ils se donnaient comme but : la conciliation du capital et du travail, comme les démocrates sociaux d’aujourd’hui. Ils n’en furent pas moins traqués. Preuve suffisante pour démontrer que le capital et le Pouvoir pratiquent, eux, constamment la lutte de classe, même lorsque le prolétariat tend à collaborer avec eux.

Faible au début, ce mouvement n’en prit pas moins rapidement une certaine ampleur. Par ses moyens propres, il réussit à envoyer une délégation de 90 membres à l’Exposition Universelle de Vienne (Autriche), en 1873.

La même année, il crée le Cercle de l’Union Syndicale, lequel donne des inquiétudes au pouvoir qui le supprime aussitôt constitué.

En 1875, il y avait 135 Chambres Syndicales qui purent à nouveau envoyer une délégation à l’Exposition Universelle de Philadelphie, en 1876.

C’est alors que cette délégation lança à son retour un manifeste qui rappelait celui des soixante de 1863. On y lisait ces lignes qui, aujourd’hui encore, ne manquent pas d’intérêt :

« Prolétaires, soyons bien persuadés que l’œuvre de la civilisation réside en nous et qu’elle ne s’accomplira que par nous.

« À l’œuvre, prolétaires ! Trop longtemps instruments de la puissance d’argent, tendons-nous la main et marchons, ainsi, à la conquête de nos instruments de travail, à la possession de la propriété qui, en toute justice, doit appartenir à nous ! Le Travail est le pivot de l’Humanité. Honneur aux travailleurs ! »

Quoique ce fût la pensée d’une minorité éclairée, assez faible, la tradition était renouée.

Les événements vont d’ailleurs se précipiter avec rapidité.

À peine la délégation des Chambres Syndicales était-elle partie pour Philadelphie que fut lancée l’idée d’un Congrès ouvrier, accueillie avec un vif enthousiasme dans le pays entier.

Il se tint le 2 octobre 1876. 94 groupements (76 de Paris, 16 de province plus 2 Unions Centrales constituées à Lyon et à Bordeaux, se réunirent) à Paris, salle des Écoles, rue d’Arras ; 360 délégués y participèrent.

On a lu dans l’exposé historique des Bourses du Travail la façon dont Bonne (tisseur de Roubaix) ébauchait déjà le rôle à ce Congrès, le principal passage de la résolution qui y fut votée.

Certes, cette résolution n’était pas incendiaire. Loin s’en faut. Elle proclame cependant la nécessité de l’indépendance du mouvement ouvrier. De même elle se prononça contre le projet Lockroy, ce précurseur malhabile de Waldeck-Rousseau.

Tranquillisés, les maîtres de l’heure purent croire que le mouvement ouvrier n’était plus à craindre. Ils se

crurent débarrassés du « spectre rouge ». Ils devaient déchanter avant longtemps.

Les militants de l’école marxiste : Guesde, Lafargue, Chabert, rentrés d’exil, reprirent les doctrines du Conseil général de l’A. I. T. disparue. Ils tentèrent d’organiser un Congrès pendant l’Exposition Universelle de Paris, en 1878. Ils furent poursuivis et empêchés de le tenir.

Ils saisirent alors l’occasion qui leur était offerte de participer au 2e Congrès ouvrier qui se tint à Lyon, la même année. Malgré tous leurs efforts, les collectivistes ne purent influencer le Congrès qui ne se rendit pas à leurs idées.

C’est à ce Congrès que Balleret prononça son fameux discours contre l’électoralisme, la dictature et l’État, bien qu’il fut collectiviste. Il est vrai qu’à cette époque le collectivisme condamnait l’État, ce qui n’existe plus de nos jours chez les socialistes et les communistes qui ne voient de salut que dans une administration étatique centralisée.

Le 3e Congrès se tint à Marseille, le 21 octobre 1879 : Les collectivistes y triomphèrent des mutuellistes qui furent écrasés.

Par 72 voix contre 27 le Congrès adopte pour but : la collectivité du sol, sous-sol, instruments de travail ; matières premières données à tous et rendues inaliénables par la Société à qui elles doivent retourner ».

Ce qui n’empêche nullement le Congrès d’invoquer la légalité et de déclarer que ce programme n’est réalisable que par la prise du pouvoir politique et de transporter dans l’arène politique l’antagonisme des classes. Décidément, dans un an, les collectivistes, parvenus à leurs fins, avaient fait du chemin, mais à rebours.

C’est du Congrès de Marseille, en 1879, que date l’immixtion de la politique dans les syndicats. Ceux-ci s’en trouvèrent gênés jusqu’à la constitution de la C. G. T. en 1895.

L’unité ouvrière en fut retardée d’un quart de siècle.

Et ce fut une suite de luttes terribles qui s’aggravèrent encore du fait des scissions qui se produisirent et se multiplièrent dans le Parti socialiste en se répercutant dans les Syndicats, comme aujourd’hui.

D’un côté, le socialisme faisant de l’État l’organe et la fin de la transformation sociale ; de l’autre, un assemblage de doctrines contradictoires qui s’efforçaient dans leur condensation difficile de se rapprocher du Bakouninisme et des Fédéralistes de l’Internationale.

Le fossé entre le Parti socialiste et les Syndicats se creusa sans cesse. Sentant que l’action politique compromettait leur unité et contrariait leur activité, les Syndicats s’en détournèrent.

Dans le Parti socialiste les choses se gâtèrent d’ailleurs rapidement. Une première scission se produisit en 1881. Brousse, Joffrin, Rouanet, Ferroul et Boyer se séparèrent des guesdistes pour former la tendance « possibiliste ».

Pendant ces déchirements socialistes, les Syndicats poursuivirent une existence obscure.

Pourtant un vaste travail en vue d’une organisation plus grande se faisait sur le terrain économique.

En 1883, une organisation, la corporative du Ve Arrondissement de Paris, appelait les salariés à l’union « entre tous ceux qui voulaient l’affranchissement des travailleurs par eux-mêmes ».

L’année suivante, en 1883, un groupe d’ouvriers publia une brochure dont quelques formules sont remarquables pour l’époque :

« Le Prolétariat, pour sa lutte émancipatrice, trouve aujourd’hui dans la corporation, sa base d’opération la plus sûre, comme jadis la bourgeoisie, pour son affranchissement, trouva la sienne dans la commune. »