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— Elle est anarchiste, – excusa madame Terrien, très indulgente.

— Certainement, je le suis. Et une anarchiste pour de vrai, qui agit toujours selon sa doctrine. Je n’ai ni religion, ni loi, et puisque je ne crois à rien, je serais trop simple d’obéir à quelque chose !

— Allons donc ! – railla vivement Fougères. – Vous êtes au contraire la néophyte d’un nouveau culte : vous adorez le dieu Beauté, dieu factice comme tous les dieux. Et vous le servez plus dévotement qu’une Italienne sa Madone : votre art est un dogme, votre poésie est un rite, et vous avez une foi de charbonnier. Tenez, moi, fils légitime du Prudhomme que vous méprisez, moi, bourgeois, moi, homme du monde, moi, diplomate, – abomination de la désolation ! – je suis meilleur anarchiste que vous : car je ne crois à aucun dieu, pas plus au vôtre qu’à ses prédécesseurs… La Beauté ? convention ! L’Art ? fantasmagorie ! La Poésie ? mensonge ! L’amour ? abus de confiance !…

Il pivota derechef sur la pile de coussins, et regarda mademoiselle Dax en souriant. Elle, ne souriait pas. Elle fixait sur lui des yeux presque craintifs. Et tout à coup, elle osa murmurer très bas :

— Monsieur… est-ce vraiment vrai que vous n’y croyez pas, à toutes ces choses ?…

Il la regarda silencieusement une longue minute, et son sourire d’ironie s’effaçait. Enfin il répondit, plus bas qu’elle :

— Non, ce n’est pas vrai… Mademoiselle, il ne faut jamais prendre au sérieux ce que je dis…